Depuis quatre mois, les Yéménites protestent contre le régime d'Ali Abdallah Saleh et ont remporté une petite victoire, vendredi dernier, avec le départ du président pour l’Arabie Saoudite, où il a été hospitalisé. Mais le président n’a pas (encore) déclaré forfait. Retour sur la situation complexe de ce pays stratégique de la péninsule arabique.
UNE SOCIÉTÉ TRIBALE LONGTEMPS EN RETRAIT
Un pays historiquement divisé. Longtemps sous domination britannique et ottomane, le Yémen a retrouvé son indépendance en deux temps au cours du XXe siècle. Jusqu’en 1990, le pays était divisé entre d’une part la moitié nord allié à l’Arabie Saoudite et, d’autre part, la moitié sud prosoviétique. Le pays s’est ensuite unifié pour former la République yéménite, sans pour autant mettre fin à une guerre civile larvée.
Une structure tribale complexe. "L’Etat central a tenté d’imposer son organisation à des structures tribales déjà existantes, sans vraiment y parvenir. Ce sont deux systèmes qui coexistent, les représentants tribaux arrivant plus souvent à obtenir raison, notamment par la violence", détaille Juliette Honvault, chercheuse au CNRS spécialisée dans l’histoire du Yémen contemporain. Les tribus sont donc incontournables, les deux confédérations tribales, les Bakil et les Hached, contrôlant même de larges parties du territoire.
Un Etat confronté à la pauvreté. Au classement mondial établi en fonction de l’Indicateur du développement humain, le Yémen arrive à la 138e position sur 179. Le PNB annuel par habitant atteint 751 dollars, contre 29.316 dollars en France. Confronté à une grande pauvreté, le Yémen est "resté très en arrière du développement. La première route goudronnée de la moitié Nord date de 1961", précise l’historienne Juliette Honvault, qui a travaillé au Centre Français d’Archéologie et de Sciences Sociales de Sanaa (CEFAS).
Une situation politique figée. La république du Yémen est dirigée depuis 33 ans par le même homme : le président Ali Abdallah Saleh. Arrivé au pouvoir par la force en 1978, il y reste lors de la réunification et est élu en 1999 au suffrage universel direct, puis réélu en 2006. Sous la pression de la rue, il a renoncé à briguer un nouveau mandat.
UN PAYS CLEF POUR LA REGION ET L'OCCIDENT
Un carrefour stratégique. "Même si ce n’est pas un pays riche, avec peu de gaz et de pétrole, le Yémen occupe une situation stratégique : la proximité avec le détroit d’Ormuz (où transite le pétrole de la péninsule), la corne d’Afrique et Israël en ont toujours fait un terrain de jeu entre forces régionales", décrypte Khattar Abou Diab, politologue spécialiste du Moyen-Orient et enseignant à l’université de Paris-Sud.
Un refuge pour Al-Qaïda. "Ben Laden avait confié que si un jour l’Afghanistan et le Pakistan ne pouvaient plus l’héberger, les montagnes du Yémen feraient très bien l’affaire", rappelle Khattar Abou Diab, avant de préciser que les Ben Laden ont des origines yéménites. Avec un territoire très partiellement contrôlé par l’Etat central, "il y a un risque qu’une partie du territoire deviennent un terreau pour les organisations terroristes".
Important pour la dynamique du printemps arabe. Bien que Khattar Abou Diab ne croie pas "à la théorie des dominos : il n’y a pas un mais plusieurs printemps arabe". Néanmoins, "le Yémen a valeur d’exemple. Les autres peuvent se dire : pourquoi pas nous ?".
LES SCENARIOS POUR DEMAIN
Saleh est-il vraiment fini ? Difficile de le savoir pour le moment. L'opposition a espéré une transition rapide lorsque l’hospitalisation du président en Arabie saoudite a été rendue publique. Mais le régime a douché leurs espoirs dès le 6 mai, annonçant son retour à Sanaa "dans les prochains jours". Les manifestants considèrent néanmoins que la page est tournée et attendent de nouvelles élections.
Faut-il craindre une nouvelle guerre civile ? "Pour la première fois, les tribus qui fondent l’identité du Yémen se lancent dans un mouvement pacifique. Les tribus sont fières de déposer les armes : c'est un moment historique pour ce pays où le recours aux armes constitue souvent un argument politique", estime Juliette Honvault.
Le rôle de l’Arabie Saoudite. Le voisin saoudien a une forte influence sur le Yémen. Ayant accueilli le président Saleh pour le soigner, le royaume a proposé une sortie de crise. Le plan du Conseil de coopération du Golfe (CCG) prévoit la formation par l'opposition d'un gouvernement de réconciliation puis la démission du président en échange de l'immunité pour lui et ses proches. Une élection présidentielle doit se dérouler dans les 60 jours suivants. Mais pour le moment Ali Abdallah Saleh a refusé de signer le texte.
Qui pour gouverner ? "Historiquement, c’est un pays de culture, d’enseignement et même si le Yémen est un pays très pauvre, il y a des personnes intellectuelles qui valent le coût. Sa chance est qu’il y a vraiment eu un libéralisme politique depuis les années 90, il y a donc de nombreuses figures qui peuvent s’imposer", décrypte Juliette Honvault."Les élites yéménites ne manquent pas", confirme Khattar Abou Diab.