Depuis plusieurs jours, les médias exhument un documentaire culte : Le Monde du silence de Louis Malle, réalisé en 1954, sur le commandant Cousteau mais pour de mauvaises raisons. En cause : la chronique au vitriol du cinéaste Gérard Mordillat qui accuse Jacques-Yves Cousteau et son équipage de sauvagerie sur la faune et la flore. Depuis pro et anti Cousteau prennent la parole pour défendre ou accuser le mythique commandant, mort en 1997.
"Faire chier les poissons". Tout est parti d’un article de Slate, sobrement intitulé "Le Commandant Cousteau 'faisait chier les poissons', assassinait des requins et faisait péter les récifs à la dynamite". Le site a en fait repéré une chronique du romancier et cinéaste Gérard Mordillat parue sur l’émission web de Là-bas si j’y suis (la renaissance sur Internet de l’émission de Daniel Mermet programmée auparavant sur France Inter) le 23 juin.
"Naïvement dégueulasse". Le chroniqueur étrille le documentaire de Cousteau, pourtant Palme d’Or du Festival de Cannes en 1956, parlant d’un "film naïvement dégueulasse" : "c’est une horreur, c’est répugnant, c’est quelque chose d’insupportable". "Dans Le Monde du silence, il s’agit très clairement (...) de faire chier les poissons et toute la faune sous-marine", poursuit-il. L’équipage de la Calypso, le bateau mythique du commandant Cousteau, est accusé pèle-mêle de jouer avec une tortue jusqu’à lui faire perdre son souffle, exploser un récif corallien à coups de dynamite ou de massacrer des requins "pour venger le cachalot que l’équipage vient pourtant d’achever à coup de fusil".
>> La chronique de Gérard Mordillat :
"Cousteau était un homme de spectacle, rien d’autre". La chronique a aussitôt réveillé les détracteurs du commandant Cousteau. Libération a ainsi publié un article très cash, "Ne découvrons pas aujourd’hui que Cousteau massacrait les poissons en 1956". Le quotidien de gauche rappelle qu’il dénonçait dès 1995 la vraie nature de Cousteau. "Cousteau s’était forgé une image d’ami de la nature, un personnage gentil qui filme des animaux gentils, ce qu’il n’était pas", écrit le journaliste Tristan Berteloot. "Cousteau était un homme de spectacle, rien d’autre. Un homme prêt à tout pour vendre ses films et ses livres, quitte à martyriser les animaux", achève-t-il.
"Une chronique blessante, assez malhonnête". Du côté des partisans de Cousteau, c’est son ancien conseiller scientifique et océanographe François Sarano qui a répondu dans L’Obs. Ce dernier trouve la critique de Gérard Mordillat "assez malhonnête, quoique plutôt drôle" et cherche à remettre les choses dans leur contexte : "il faut quand même rappeler qu’à l’époque, les connaissances sur la vie sous-marine étaient quasi-inexistantes, tout comme l’était ce qu’on appelle aujourd’hui la pensée écologiste. Cousteau et son équipage étaient d’authentiques explorateurs, des pionniers, et pas des idéologues". "En 1954, personne n’avait encore pressenti les désastres à venir, pas même Cousteau", ajoute-t-il. "Avec le recul, lui-même trouvait ces images révoltantes et insupportables. Mais elles font partie du film, de cette photographie d’un instant T de notre connaissance des océans".