Eurovision : de la musique et de la géopolitique

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COPINAGE - Pour Farid Toubal, auteur d’une étude sur ce thème, les votes des pays candidats reflètent la "proximité culturelle". 

Quand on entend les candidats donner de la voix, avec leurs looks souvent excentriques, l’Eurovision pourrait passer pour un concours bien peu sérieux. Et pourtant, pour certains il est carrément question de géopolitique. Farid Toubal, co-auteur, en 2008, d'une étude sur ce thème, préfère parler de "proximité culturelle". Les chercheurs y soulignaient que le concours de l’Eurovision reflétait "les affinités, les sympathies, ou encore le sentiment qu’ont les pays d’appartenir à un groupe." Résultat : des accointances entre "blocs", et des sanctions à échelle internationale, qui se répercutent sur les scores. Nous avons interrogé Farid Toubal*. 

Comment sont organisés les votes du concours de l’Eurovision ?

"Le règlement est très strict. Seuls les membres de l'Union Européenne de Radio Télévision, une organisation qui compte des membres dans 56 pays d'Europe et alentour, peuvent participer au concours. On les appelle les diffuseurs. Les diffuseurs participant au concours réunissent un jury national, pour voter lors de la demi-finale, puis de la finale. Mais chaque diffuseur a aussi l'obligation de faire participer les téléspectateurs de son pays à l'élection du candidat gagnant. 

Le classement des téléspectateurs et celui du jury sont ensuite combinés pour donner le classement final du pays participant. Les dix chansons arrivées en tête du classement combiné reçoivent dans l'ordre ascendant de préférence, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10 et 12 points."

On parle beaucoup de l’influence de la géopolitique, du "copinage" dans ces votes, pourquoi ?

"De nombreuses études ont pointé une certaine corrélation des votes qui ne semble pas refléter la qualité de la chanson. Mais le vote à l'Eurovision va au delà de l'appréciation artistique. Croit-on vraiment que les Chypriotes votent constamment contre les Turcs car les chansons turques ne sonnent pas bien à leur oreilles ? Ce n’est même pas un problème de situation géopolitique, ces situations sont changeantes dans le temps. Le vote reflète la proximité culturelle."

Vous dites donc que le vote va même au-delà de la géopolitique ?

"Nous nous sommes intéressés il y a quelques temps à disséquer ces votes et nous montrons que le vote reflète la proximité culturelle, définie au sens large. Celle-ci se résume non seulement au langage commun, à la religion commune et au système légal commun mais elle est également liée à l’identité commune, l’histoire, les codes vestimentaires et bien d’autres éléments. La proximité culturelle évolue dans le temps et n’est pas forcément réciproque. Les Turcs votent pour les Allemands, les Allemands votent contre la Turquie. C'est un peu "Je t’aime moi non plus…"

Auriez-vous des exemples d’affinités ? Ou des votes influencés par des événements politiques précis ces dernières années ?

"La Chypre et la Grèce se donnent mutuellement sur la période 1975-2003 (période de notre investigation) environ sept points de plus que ce qu’ils ne reçoivent des autres candidats… La France donne toujours moins aux Britanniques que l’ensemble des pays participants. Le Duc de Wellington en son époque disait : "We always have been, we are, and I hope that we always shall be detested in France." ("Nous avons toujours été, nous sommes et nous serons toujours, du moins je l’espère, détestés en France" ndlr.)

Selon le commentateur de la BBC Terry Wogan, le classement de la Grande-Bretagne en 2003 s’expliquerait par son entrée dans le conflit irakien alors que la majorité des pays participant avait décidé de ne pas y prendre part". Le pays était alors arrivé à la 26e place du classement en 2003 contre la 15e place en 2001, et la 3e place en 2002. 

Cette année, est-ce que certaines affinités se dégagent ?

"J’attends impatiemment de voir les résultats de la Russie et ceux de l’Ukraine."

Au fond, est-ce que le vote tel qu’il est conçu est complètement faussé ?

"Non il ne l’est pas. Nous aimons, nous Français, penser que parce que nous ne gagnons pas alors c'est faussé. La France n'a pas gagné depuis 1977. Pour moi il n’a jamais été question d’un concours primant la qualité de la chanson, mais d’un très bon thermomètre de convergence ou non des affinités culturelles des pays participants."

*Professeur à l'ENS de Cachan, Professeur Associé à l'Ecole d'Economie de Paris et conseiller scientifique au CEPII

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