"Je pense que c'est une affaire d'Etat, incontestablement". Éric Coquerel, député insoumis de Seine-Saint-Denis, n'a pas mâché ses mots vendredi, sur Europe 1, pour parler de l'affaire Benalla qui empoisonne la présidence depuis plusieurs jours. La veille déjà, Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise, avait évoqué devant l'Assemblée nationale un "scandale d'Etat" à propos de la polémique qui entoure ce proche collaborateur d'Emmanuel Macron, filmé en train de passer à tabac un manifestant le 1er mai dernier, coiffé d'un casque de CRS.
Une police privée ? De quoi mettre la classe politique en émoi. Et d'autant qu'Alexandre Benalla, chargé d'assurer la sécurité du candidat Macron pendant la campagne présidentielle, n'a écopé en interne que d'une suspension de 15 jours pour avoir pris part, aux côtés des CRS qu'il accompagnait ce jour-là comme simple observateur, à la répression musclée d'un groupe de manifestants sur la place de la Contrescarpe à Paris. "Soit la police considère que c'est normal que quelqu'un puisse arborer un brassard de policier et avoir manifestement - on le voit sur toutes les photos -, des agissements, non pas d'observateur, mais très impliqués [...] dans un maintien de l'ordre que tout le monde a contesté. Soit ils estiment, en réalité, que ce personnage est connu, qu'il est proche de l'Élysée et qu'ils ne peuvent rien faire et rien dire", pointe Éric Coquerel.
"Si vous avez un groupe de vigiles privés qui travaillent directement pour l'Élysée, et qui a même des fonctions où ils peuvent donner des ordres à la police à certains moments sur des événements, c'est un fait particulièrement grave", alerte-t-il. Un deuxième homme, gendarme réserviste ponctuellement employé par le commandement militaire de l'Élysée, est également impliqué dans cette affaire, a avoué jeudi Bruno Roger-Petit, le porte-parole de la présidence.
" Ce sont des délits pénaux. Ça n'est pas juste un événement "
La justice tenue dans l’ignorance des faits. "J'aurais bien aimé entendre Emmanuel Macron, pas son chargé de communication dire des fadaises jeudi matin. Il faut qu'il s'exprime, qu'il explique pourquoi ce personnage n'a eu que deux semaines de suspension", interroge l'élu. "Pourquoi n'ont-ils pas saisi la justice ? Je vous le dis : ils l'ont couvert !", affirme Éric Coquerel qui estime que le président et plusieurs de ses proches ont sciemment enfreint la loi en ne signalant pas qu'Alexandre Benalla s'était fait passer pour un CRS.
"Le chef de l'État, son directeur de cabinet, et très certainement Gérard Colomb qui le savait, on enfreint l'article 40 du Code de procédure pénale", qui oblige toute autorité constituée à signaler auprès du procureur de la République un crime ou délit dont elle aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. "Le directeur de cabinet explique qu'il les avait envoyés ce jour-là, il avait accepté qu'ils soient observateurs. Le directeur de cabinet a prévenu Emmanuel Macron, ce sont des délits pénaux. Ça n'est pas juste un événement", relève encore Éric Coquerel.
La France insoumise veut déposer une motion de censure. Alors que le président ne s'est pas encore exprimé sur cette affaire, La France insoumise réclame des explications de la part de l'exécutif et, à cette fin, espère pouvoir déposer une motion de censure contre le gouvernement. "On n'arrive pas à obtenir le fait que le Premier ministre, ou au moins le ministre de l'Intérieur, vienne s'exprimer [à l'Assemblée nationale, ndlr]. C'est notre manière de dire : on vous oblige à venir vous expliquer puisque vous ne voulez pas le faire de manière consentante, ce qui serait normal dans une démocratie moderne", pointe Éric Coquerel.
Pour l'heure, seuls les 17 élus de la France insoumise se sont engagés à soutenir cette motion qui doit être présentée par au moins 1/10ème des députés pour être validée, soit 58 signatures. "Je vais relancer, notamment dans le groupe socialiste. Je crois que, mathématiquement, le groupe socialiste, le groupe communiste et nous même pouvons déposer une motion de censure", explique Éric Coquerel. D'ici là, l'enquête parlementaire qui a été ouverte jeudi devrait donner lieu, dès la semaine prochaine, à des auditions en huis clos "pour comprendre ce qui s'est passé le 1er mai, mais aussi pour comprendre ce qui est passé après le 1er mai", insiste le député.