C'est la leçon que veut retenir l'exécutif de l'affaire Benalla, alors que les dernières auditions de protagonistes sont menées lundi et mardi au Sénat. La séquence aurait-elle été moins périlleuse si la haute administration avait partagé les opinions et les intérêts de la majorité macroniste ? L'Élysée apparaît en tout cas déterminé à s'assurer de la fidélité des hauts fonctionnaires en temps de crise. Pour y parvenir, le président copmpte s'appuyer sur un outil importé des États-Unis, vanté par Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle et présenté comme une changement de paradigme dans les hautes sphères de l'État : le "spoil system".
Une promesse de campagne. Derrière cette expression anglaise née aux États-Unis au début du 19ème siècle se cache en fait une idée plutôt simple : lorsque des dirigeants arrivent au pouvoir dans un pays, ils changent les hauts fonctionnaires pour s'assurer de leur fidélité. En France, cela regroupe les administrations centrales (le CSA, le Commissariat à l'énergie atomique ou l'université de Strasbourg, par exemple), les préfets, les ambassadeurs… Objectif : éviter de voir leurs réformes "torpillées" ou insuffisamment mises en oeuvre par des structures chargées en théorie d'appliquer concrètement la loi sur le terrain.
"Nous sommes en fait face aux limites de l'absence du 'spoil system'. L'affaire Benalla nous l'a montré, si nous le faisons pas, cela peut se retourner contre nous", constate aujourd'hui un conseiller du président auprès du Figaro, lundi. Pour autant, cet appétit pour le "spoil system" n'est pas nouveau chez Emmanuel Macron : "Dans les deux premiers mois du quinquennat, je changerai ou confirmerai l’intégralité des postes de direction dans la fonction publique… C’est une mise sous tension de l’appareil d’Etat", promettait-il dans un entretien aux Échos, en février 2017.
Quelques départs commentés. Dans les faits, 180 hauts fonctionnaires, dont la nomination dépend du gouvernement, ont été évalués au cours de l'année 2017, pour s'assurer de l'adéquation de leurs vues avec celles de l'exécutif. Très peu de responsables ont en réalité quitté l'administration après l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron. Parmi les contre-exemples, le départ très commenté du chef d'état-major des armées, Pierre de Villiers, en juillet 2017 ou celui du Conseil supérieur des programmes, Michel Lussault, en septembre dernier. Après l'attentat de Marseille, l'Élysée a aussi limogé le préfet du Rhône, Henri-Michel Comet, pour le remplacer par un haut fonctionnaire proche de Christophe Castaner mais condamné pour avoir diffamé un Algérien et accordé des permis des construire illégaux en Corse, pointe La Tribune.
L'affaire Benalla montre surtout que la haute administration policière n'est pas alignée sur les positions de l'Élysée. Lors de son audition devant la commission d'enquête de l'Assemblée, le préfet de police Michel Delpuech s'est notamment désolidarisé de l'exécutif en renvoyant la responsabilité des agissements de l'ex-chargé de mission vers l'Élysée. Cette défiance entre la préfecture de police et la présidence pourrait donner lieu à une reprise en main de la première par la seconde, dans les semaines et les mois à venir. Le préfet Delpuech pourrait en faire les frais : il a été nommé avant le premier tour de l'élection présidentielle, en avril 2017. Emmanuel Macron n'était pas encore à l'Élysée.
"Il va falloir s'occuper" de certains hauts fonctionnaires. La plus grande crise du quinquennat jusqu'à présent est donc l'occasion d'affermir véritablement la tutelle de l'Élysée sur les administrations centrales. "Jusqu'à présent, nous nous sommes montrés plutôt conciliants", raconte un proche d'Emmanuel Macron au Figaro. "En arrivant, nous avons laissé aux hauts fonctionnaires le choix de rester travailler avec nous ou de partir si cela leur posait des problèmes. Apparemment, certains qui avaient des problèmes sont restés. Il va falloir s'en occuper." Si l'exécutif se défendait au début du quinquennat de vouloir mener une "chasse aux sorcières" au sein des administrations centrales, le ton a bien changé au début de l'an II du quinquennat.