Bilderberg, la mystérieuse réunion "des maîtres du monde"

Bilderberg
Des manifestations d'altermondialistes se tiennent souvent aux abords des réunions du "groupe Bilderberg".
  • Copié
, modifié à
Cette réunion annuelle se tient du 11 au 14 juin, en présence d'Alain Juppé, d'une conseillère de Hollande ou encore du patron de Michelin.

Quel est le point commun entre Alain Juppé, le maire de Bordeaux, Laurence Boone, la conseillère économique de François Hollande, Jean-Dominique Sénard, le patron de Michelin, Patrick Calvar, le patron de la DGSI ou encore Gilles Kepel, l'universitaire spécialiste du monde arabe ? Ils sont français, et ils participent à la réunion 2015 du "groupe Bilderberg", qui se tient du 11 au 14 juin à Telfs-Buchen, en Autriche.

Depuis 1954, ce "groupe" rassemble tous les ans 130 personnalités influentes des puissances occidentales (la liste de cette année est à retrouver ici), venant débattre à huis-clos des grands dossiers économiques et géopolitiques du moment. L'évènement rassemble tous les ans des personnalités différentes, et se tient dans une grande ville d'Europe (Turquie comprise, où elle s'est tenue en 2007) ou d'Amérique du nord. Son opacité légendaire a attisé les rumeurs complotistes les plus folles. Mais cette assemblée des "maîtres du monde", comme elle est surnommée, est-elle si mystérieuse que ça ?

À l'origine, une réunion anti-communiste. Le "groupe Bilderberg", également appelé "conférence Bilderberg", a été créé par le milliardaire américain David Rockefeller et le prince Bernhard des Pays-Bas. Il s'agit d'un rassemblement annuel, et le premier a eu lieu du 29 au 31 mai 1954 à Oosterbeek, aux Pays-Bas, dans un hôtel appelé Bilderberg, qui donnera par la suite son nom à l’événement. À l'origine, l'objectif est clair : rassembler les leaders politiques et économiques occidentaux pour resserrer les liens et établir une stratégie à peu près commune face à l'Union soviétique.

Aujourd'hui, un moment de débats entre puissants. Cette réunion a perduré après la chute de l'Union soviétique. Aujourd'hui, l’événement rassemble toujours des personnalités influentes d'Europe et d'Amérique du nord. Mais les thèmes ont changé : on ne parle plus de communisme, mais de tous les défis auxquels sont confrontées les puissances occidentales. Les sujets de cette année : intelligence artificielle, terrorisme, élections américaines ou encore Grèce.

"En fait, on est là pour travailler. Les deux jours et demi sont très intenses. De 8 heures à 20 heures, il y a une succession de débats", expliquait en juin 2013 l'économiste et éditorialiste au Figaro Nicolas Baverez, membre du comité directeur du groupe, cité dans une enquête du Nouvel Obs. Le tout est très encadré : chaque intervenant s'installe par ordre alphabétique, dispose de 10 minutes pour parler, et les questions sont limitées à trois minutes.

En clair, le "groupe Bilderberg" est une version miniature du Forum de Davos, réservée aux occidentaux . "C'est plus intime que Davos. On a le temps de construire des relations qui vont au-delà du 'speed dating'", précise Maurice Lévy, publicitaire et ancien invité, cité dans Le Nouvel Obs.  

Une opacité tenace. Mais il n'y a pas que le nombre de participants (130 contre plus d'un millier) qui différencie Bilderberg de Davos. Il y a aussi l'opacité. À l'origine, les débats devaient se faire dans le secret le plus total, pour ne pas éveiller la curiosité russe. David Rockefeller, ancien espion et cofondateur de l’événement, y veillait scrupuleusement. Et aujourd'hui ? Les choses n'ont pas beaucoup changé. Le lieu de la rencontre est tenu secret jusqu'au dernier moment. Trois barrières de sécurité doivent être franchies avant d'arriver sur les lieux. Tous les débats sont certes scriptés par deux journalistes de The Economist, les seuls à avoir le droit de rentrer, mais le contenu n'est jamais publié. Le mot d'ordre est clair : rien ne doit filtrer. Jusqu'à 2013, la liste des participants n'était même pas communiquée.

La raison avancée pour justifier ce secret n'a plus grand-chose à voir avec l'Union soviétique (Vladimir Poutine avait même été invité en 2002, même s'il avait décliné l'invitation). Le but: que les participants se lâchent dans les débats, qu'ils parlent sans crainte de susciter une polémique dans les médias. "Parce que rien ne fuite, les conversations du Bilderberg sont d'un niveau inégalé dans le monde", explique d'ailleurs Michel Rocard, ancien Premier ministre socialiste, dans l'enquête du Nouvel Obs.

Ces réunions secrètes décident-elles de l'avenir du monde, sans le moindre contrôle démocratique ? Impossible de savoir, donc, puisqu'il est impossible de savoir ce qu'il s'y dit. Mais une chose est sûre : celui qui a le privilège d'être invité gagne une chance inouïe d'étoffer son réseau et de se faire entendre des puissants. Bill Clinton, l'ancien président des Etats-Unis (en 1991), Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen (il a rencontré le comité directeur en 2009), Christine Lagarde, la présidente du FMI (en 2009), Manuel Valls (en 2008) ou plus récemment Emmanuel Macron (en juin 2014)… De nombreuses personnalités politiques, de droite comme de gauche, sont d'ailleurs passées par la case Bilderberg avant d'être véritablement connues.

Comment se fait la désignation des invités ? C'est le "comité de pilotage" du groupe Bilderberg qui, chaque année, dresse la liste des invités. Ce dernier, dont les membres sont élus pour quatre ans par ses anciens membres, est dirigé par des personnalités hautement influentes, dotées d'un puissant réseau. Cette année, et depuis 2012, il est présidé par le patron d'Axa, le Français Henri de Castries. À ses côtés, on retrouve des personnalités aussi diverses que le patron de la banque d'affaires Lazard, Ken Jacobs, Craig J. Mundie, responsable de la recherche et de la stratégie chez Microsoft, la présidente du Musée d'Art moderne de New York, Marie- Josée Kravis, où l'ancien gouverneur de la Banque de France Jean-Claude Trichet (la liste est publique et à retrouver ici).

Pour désigner les invités des réunions annuelles, le comité pioche parmi des personnalités recommandées par ses membres. En 2011, Etienne Davignon, alors président du Comité de direction du groupe Bilderberg, donnait une interview au journaliste Bruno Fay. Voici ce qu'il expliquait : "Chaque année, on demande aux membres d’identifier les personnalités qui émergent dans leur pays. L’an passé (en 2010 ndlr), ils nous ont proposé d’inviter George Osborne qui a été depuis nommé chancelier de l’Échiquier dans le cabinet de David Cameron. Pourquoi Osborne ? Parce que c’était un homme jeune, prometteur, du Parti conservateur anglais, et que c’est intéressant aussi bien pour lui, que pour nous, de nous rencontrer".

Et le journaliste de publier également une petite explication de texte émise par Etienne Davignon, sur un certain Manuel Valls : il "nous a paru intéressant en tant que socialiste français ouvert. On n’est pas là pour faire sa promotion, mais il n’est pas exclu que ça lui soit utile et que ça lui ouvre aussi les yeux sur certains points. Ensuite, certains de nos invités ont un destin, mais ce n’est pas de notre fait. Je crois plus à notre vision".