Un dernier jour de campagne sous haute tension. Vendredi, au lendemain de la mort d’un policier abattu sur les Champs-Elysées et à deux jours de l'élection présidentielle, plusieurs candidats ont décidé de restreindre ou annuler leurs sorties, à deux jours du premier tour. Jeudi soir, sur le plateau de France 2, tous ont évoqué des mesures et des moyens différents pour lutter contre le terrorisme.
Des divergences sur le sort des fichés S
Visé par une enquête antiterroriste, l’assaillant était connu des autorités pour avoir manifesté la volonté de tuer des policiers. Vendredi, Marine Le Pen a redit sa volonté "d’expulser les fichés S étrangers, poursuivre et déchoir de leur nationalité les fichés S qui sont binationaux, et les fichés S français il faut les poursuivre pour intelligence avec l'ennemi". Ce motif a d’abord été avancé par François Fillon en juillet dernier, alors que ce dernier s’opposait à l’époque à l’enfermement des fichés S. Il a durci sa position vendredi, assurant qu’il veillerait "à ce que tous les individus dont la dangerosité est avérée et notamment les fichés S soient placés en détention dans un cadre judiciaire, ou sous surveillance administrative". Le candidat LR veut aussi "expulser du territoire national les étrangers proches des réseaux terroristes", mesure également souhaitée par Nicolas Dupont-Aignan, qui les expulserait... aux îles Kerguelen, dans l’océan Indien. Une proposition d’ailleurs raillée par Jacques Cheminade, mais en filigrane dans le programme de François Asselineau, qui veut une "politique judiciaire d’une très grande fermeté vis-à-vis des délinquants fichés S".
Enfermer les fichés S ? Une "proposition dangereuse" selon Emmanuel Macron, qui a rappelé vendredi qu’il ne fallait pas céder à la peur. Si Benoît Hamon était élu président, il poursuivrait plutôt les individus "ayant participé à des camps d’entraînement terroriste à l’étranger". Quant à Jean-Luc Mélenchon, il souhaite l’évaluation des lois antiterroristes existantes mais n’a pas précisé clairement les mesures qu’il prendrait concernant les personnes suspectées de passer à l’acte.
Radicalisation : certains lieux de culte dans le viseur
Comment lutter contre le phénomène de radicalisation ? Tous les candidats ne sont pas aux antipodes : François Fillon et Marine Le Pen veulent fermer les mosquées liées à l’islam radical pour les deux premiers, tandis que Benoît Hamon parle de la fermeture des "lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence". Même idée chez Nicolas Dupont-Aignan à propos des imams : "Soit ils respectent la charte, soit, s'ils sont étrangers, ils sont expulsés pour empêcher les prêches de haine." Emmanuel Macron se focalise, lui, sur la création de "centres fermés de petite taille spécifiquement dédiés à recevoir des personnes radicalisées", une initiative déjà amorcée par le gouvernement. Enfin, Jean-Luc Mélenchon propose de "lutter contre l’embrigadement et soutenir les démarches de signalement par les proches". D’autres candidats comme Jean Lassalle, Nathalie Arthaud ou Philippe Poutou n’ont pas détaillé leurs mesures pour lutter contre la radicalisation.
Consensus sur un renforcement des moyens de la police et du renseignement
Les principaux candidats se retrouvent sur l’idée d’améliorer le renseignement pour prévenir d’autres attentats. Jean-Luc Mélenchon souhaite "renforcer les moyens humains et matériels des forces de sécurité, en quantité et qualité", avec une police de proximité. Une hausse des moyens également voulue par Emmanuel Macron, qui y ajoute la création d’un "état-major des opérations de sécurité intérieure, de renseignement et de lutte contre le terrorisme". Vendredi, l’ancien ministre a réaffirmé que "le renseignement territorial sera consolidé car une partie du combat que nous devons mener se joue dans le repérage et le traitement des personnes qui se radicalisent. À ce titre, l'affaiblissement du renseignement territorial conduit il y a maintenant 10 ans a été une faute". Une critique à peine masquée de François Fillon, à Matignon de 2007 à 2012, qui défend lui le redéploiement de 5.000 policiers ou gendarmes avec le recrutement de 5.000 agents, il veut "réformer le renseignement, et renforcer les coopérations au niveau européen via notamment Europol et Eurojust". Loin des 200.000 agents que recruterait Jean Lassalle dans tous les services publics s’il accédait à l’Elysée.
Benoît Hamon veut de son côté mettre en place un "coordinateur national du renseignement rattaché au Premier ministre", avec un renforcement des moyens du renseignement territorial. Une ambition similaire à celles de Nicolas Dupont-Aignan, qui souhaite un doublement du budget alloué au renseignement, et Jacques Cheminade, partisan d’une "vraie direction générale du renseignement territorial". Marine Le Pen se montre un peu plus vague mais va dans le même sens avec la volonté de "rétablir les services de renseignement de terrain", associé au recrutement de 15.000 policiers et gendarmes. Objectif également chiffré pour François Asselineau : le président de l’UPR veut "porter à 20 milliards d’euros le budget pour la police et la gendarmerie". Des propositions opposées à celle de Philippe Poutou de "désarmer la police" et qu’il continue de porter après l’attaque de jeudi soir.
Intervention en Syrie et en Irak : clivage autour de l’Onu et Bachar al-Assad
Faut-il poursuivre l’intervention au Levant pour combattre Daech sur ses terres ? Oui, répondent l’essentiel des candidats, au point de parfois vouloir "intensifier" cette lutte (Nicolas Dupont-Aignan). Seuls les "petits" candidats, comme François Asselineau, Jean Lassalle, Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud veulent retirer les troupes françaises présentes sur place et mettre fin à la complaisance avec le Qatar et l’Arabie Saoudite (Asselineau) et faire la guerre aux puissances impérialistes (Arthaud). Les cinq candidats les mieux placés dans les sondages se divisent plutôt sur le rôle de l’Onu et le rôle de Bachar al-Assad dans le règlement du conflit. Pour Benoît Hamon, la solution ne peut pas se construire avec la présence du dirigeant syrien, solution à trouver "sous l’égide des Nations unies".
Emmanuel Macron veut lui aussi que l’Onu joue un rôle prépondérant dans la crise syrienne : il se dit favorable à "une intervention militaire internationale sous l’égide des Nations unies", tout en "construisant la sortie de Bachar al-Assad" mais en précisant que la transition se ferait "avec lui". Jean-Luc Mélenchon souhaite également que l’Onu intervienne sous la forme d’une "coalition universelle pour éradiquer Daech". Chez François Fillon et Marine Le Pen, le rôle dévolu à Bachar al-Assad est plus nuancé. Le candidat LR a de nouveau insisté, vendredi, sur son souhait de cibler sa politique étrangère "sur la destruction de l'Etat islamique puisque c'est lui qui aujourd'hui nous menace directement". Il mènerait d'ailleurs cette politique avec le concours de Vladimir Poutine, comme le souhaite aussi Jacques Cheminade. Un crime que la dirigeante frontiste n’a pas condamné, préférant présenter Bachar al-Assad comme "la solution viable" et "une solution bien plus rassurante pour la France que l’Etat islamique".