Deux ans encore. Deux ans seulement. Pas toujours facile pour un parti politique d'admettre qu'il a déjà les yeux rivés sur les prochaines échéances électorales. Pourtant, à La République en marche!, les grandes manœuvres commencent déjà en vue des municipales de 2020. Et pour cause, le scrutin s'annonce périlleux pour Emmanuel Macron. Les sénatoriales de l'automne dernier, puis les législatives partielles perdues ce week-end l'ont montré : le parti du président manque encore cruellement d'implantation politique territoriale. Un scrutin comme les municipales se prépare donc dès maintenant.
Forteresses ennemies vs. villes "Macron-compatibles". Le 26 janvier dernier, Christophe Castaner, délégué général de LREM, a donc désigné quatre "délégués nationaux aux Élections et aux Territoires", chargés de piloter la stratégie du parti en vue des européennes et des municipales. Avec le sénateur François Patriat, la députée Marie Guévenoux et l'ancienne sénatrice Bariza Khiari, Pierre Person, député de Paris, a hérité de cette lourde tâche. "Il faut se fixer des objectifs", détaille l'élu. "Où veut-on être ? Quelles sont les villes stratégiques ?"
De fait, LREM n'a ni les moyens ni l'envie de prendre les 36.000 communes de France d'assaut. Tout l'enjeu pour le mouvement est donc de diviser les villes en deux catégories. D'un côté, les forteresses ennemies où LREM n'aura d'autre choix que de partir au combat avec ses propres listes. De l'autre, les endroits où les maires sont "Macron-compatibles" et des alliances envisageables.
En rassemblant toutes les données à notre disposition, nous avons pu établir une première carte de France des municipales LREM, photographie à l'instant T des liens noués par le parti de la majorité avec les forces politiques déjà implantées au niveau local :
Zoomez et cliquez sur les points pour voir la situation spécifique à chaque commune. En vert, les villes "Macron-compatibles" et en orange, les bastions auxquels LREM compte s'attaquer.
Haro sur les bastions socialistes. Sur cette carte, l'importance accordée aux grandes métropoles apparaît clairement. En 2020, Emmanuel Macron va d'abord s'attaquer aux bastions socialistes : Lille, le fief de Martine Aubry, mais aussi Nantes, Rennes, Brest, Rouen ou encore Strasbourg. Et bien sûr, Paris, convoitée par le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux. L'ancien secrétaire d'État à Bercy a repéré les arrondissements clefs que LREM, qui a fait ici d'excellents scores à la présidentielle, peut prendre dans deux ans.
La campagne parisienne est d'ailleurs déjà en route : toutes les six semaines environ, un comité politique parisien, composé des députés marcheurs de la capitale ainsi que des élus d'arrondissement et du Conseil de Paris proches de LREM, se réunissent. Benjamin Griveaux vient également de renouer avec les "JAM", les Jeunes avec Macron, qui pourraient bien devenir son bras armé dans la conquête de la capitale. "Le travail programmatique a déjà démarré", confirme un député. Qui prévient : "attention à ne pas tomber dans les tambouilles politiciennes, que les Parisiens repèrent et détestent."
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"Défrichage" à Marseille, hésitations à Toulouse. À Marseille aussi, où l'indéboulonnable maire de droite Jean-Claude Gaudin ne se représentera pas en 2020, LREM compte partir au combat. Et même si le nom de Christophe Castaner est avancé pour s'emparer de la cité phocéenne, rien n'est gagné. "Un défrichage complet reste à faire", glisse un poids lourd de la majorité.
Impossible aussi pour LREM de ne pas être présent à Toulouse. "Un cas complexe", reconnaît un député, tant le maire actuel, Jean-Luc Moudenc, étiqueté droite modérée, alterne entre virulentes critiques et compliments à l'égard d'Emmanuel Macron. "Son profil n'est pas opposé au président mais son positionnement est étrange." Pour un autre parlementaire, même si le mouvement présidentiel travaille sur certains sujets avec l'équipe municipale, "à l'instant T, Jean-Luc Moudenc n'est pas sur la ligne de LREM".
Cinquante grandes villes macron-compatibles. À l'inverse, dans une cinquantaine de grandes villes, LREM espère bien pouvoir négocier avec les élus sortants ou leurs équipes. C'est le cas à Vannes, Quimper, Le Mans, ou encore Valenciennes. À Nice, "Christian Estrosi a été l'un des élus LR à montrer le plus d'allant" à l'égard d'Emmanuel Macron, souffle un député de la majorité, qui n'exclut pas des discussions. Logiquement, Alain Juppé ne devrait pas voir fleurir de liste LREM à Bordeaux s'il garde le même état d'esprit bienveillant à l'égard du gouvernement. "On n'est pas obligé de rejeter un élu parce qu'il a déjà une étiquette, il faut juger qui est en ligne avec nos valeurs", abonde Pierre Person. "Ce qui est certain, c'est qu'on ne fera pas d'alliance pour les alliances."
" Tout l'enjeu est de définir ce qu'est le macronisme au niveau local, puis une stratégie d'implantation. "
Étude de marché entre deux petits fours. Pour établir cette carte, les marcheurs s'appuient notamment sur le travail de fourmi effectué il y a un an, pendant la campagne présidentielle : la recherche de parrainages d'élus locaux. Un véritable marathon qui a permis de serrer des mains et boire une coupe… mais aussi repérer les maires Macron-compatibles. L'étude de marché entre deux petits fours s'est révélée fructueuse. "Les maires qui ont parrainé Emmanuel Macron à la présidentielle nous le disaient souvent : ils font déjà du Macron au niveau local", se souvient Pierre Person. "Tout l'enjeu est donc là : définir ce qu'est le macronisme au niveau local, puis une stratégie d'implantation."
"Ne pas faire suer les élus qui font bien leur travail". Chaque député ou presque a donc recensé les profils intéressants de sa circonscription. Notamment les maires sans couleur politique, moins susceptibles d'être freinés par leur appartenance à un parti. La liste est ensuite envoyée au siège de LREM, à Paris, où elle est de nouveau épluchée. Exit les édiles qui critiquent publiquement Emmanuel Macron, la priorité sera alors donnée à leurs adjoints. Priorité aussi aux quelque 1.300 parrains du président de la République. C'est le cas, par exemple, à Montpellier, La Rochelle, Besançon, Auxerre ou encore Rodez. "On ne va pas aller faire suer les élus qui font bien leur travail", prévient Sacha Houlié, député de la Vienne. "Je n'ai aucune envie d’ennuyer les bons maires, notamment les sans-étiquettes."
" On ne va pas aller faire suer les élus qui font bien leur travail. Je n'ai aucune envie d'ennuyer les bons maires. "
Les référents départementaux mis à contribution. Les "Macron-compatibles" identifiés devront suivre des formations "En Marche" pour prouver leur loyauté, adopter le bon vocabulaire, mais aussi se préparer à ce qui les attend. "Un institut de formation est à l'étude", confirme Frédérique Lis, responsable départementale dans les Pyrénées-Orientales. "On va s'appuyer sur ceux qui sont déjà élus, ou l'ont déjà été, et qui veulent transmettre pour expliquer les compétences d'une mairie par rapport à une communauté de communes, ou comment s'en sortir avec un budget."
Les référents départementaux sont aussi mis à contribution pour "proposer des profils intéressants" à rajouter sur les listes. Le 3 février dernier, Christophe Castaner les a réunis à Paris pour leur donner une liste d'arguments politiques pour séduire les élus locaux et mettre un pied dans la porte d'un maximum de mairies. Preuve que leur travail sur le maillage territorial est devenu une priorité : certains responsables de comités locaux ont vu, ce mois-ci, leur budget doubler, voire tripler. Comme dans le Pas-de-Calais, où l'enveloppe des référents départementaux est passée de 400 euros à entre 800 et 1.200 euros par mois. Au total, le parti débourse donc un million d'euros sur l'année pour ses comités locaux.
Le couperet des européennes. Reste que rien n'est figé. Et que deux ans, cela reste long. Suffisant pour que certains édiles se replient sur leur couleur politique, s'agacent de la politique gouvernementale ou, au contraire, se rapprochent de l'exécutif. Suffisant, aussi, pour qu'Emmanuel Macron échoue aux élections européennes en 2019. Les cartes seraient alors rebattues. Avec le risque que LREM devienne un épouvantail dont aucun maire ne voudra. Chacun pourrait alors rester chez soi.