A huit mois de la présidentielle, les candidats commencent à abattre les cartes de leur programme. C’est à droite que les propositions sont les plus avancées, car la primaire, qui se tiendra les 20 et 27 novembre, approche. Mais sur la question de la réforme constitutionnelle, à gauche aussi, on se positionne. Chacun veut sa réforme du texte fondateur de la Ve République. Mais au-delà du coup politique que représente l’annonce d’une réforme constitutionnelle, la faisabilité d’une telle proposition reste posée. Rappelons qu’une révision doit être validée par la majorité des 3/5e des élus des deux chambres du Parlement réunies en Congrès.
Pascal Jan, professeur des universités, constitutionnaliste à Sciences-Po Bordeaux, décrypte pour Europe 1 les propositions "constitutionnelles" des candidats.
- Ceux qui veulent adapter la Constitution à la menace terrorisme
Nicolas Sarkozy veut interdire le burkini. En plein débat sur le port du burkini, ce maillot de bain couvrant utilisé par certaines femmes musulmanes, l’ancien président de la République, qui aspire à le redevenir, a marqué sa différence avec les autres candidats. "On ne peut pas laisser les maires seuls face à cette situation", a expliqué Nicolas Sarkozy sur RTL, le 29 août, avant de se dire prêt à "changer la Constitution s’il le faut" pour qu’une loi interdisant le burkini voie le jour. "Je demande simplement une adaptation de la Constitution pour la partie Etat de droit, la partie sécurité", a précisé le candidat à la primaire de la droite le 15 septembre, sur France 2.
L’avis de Pascal Jan. "Le constituant peut modifier la Constitution dans le sens qu’il souhaite, il peut donc restreindre les libertés", explique-t-il. Le risque n’est-il pas de se heurter aux libertés fondamentales ? Le constitutionnaliste s’inscrit en faux et rappelle que la Constitution prévaut sur les normes internationales, comme la Convention européenne des droits de l’homme. Néanmoins, pointe-t-il, réformer la Constitution sur le seul problème du burkini "n’a pas de sens". "C’est de la micro-constitutionnalité, c’est-à-dire que l’on vient toucher le texte fondamental sur des points qui ne relèvent pas forcément de la Constitution", décrypte-t-il.
Bruno Le Maire veut la mise en place d’une justice d’exception. Pour lutter contre le terrorisme, le chantre du renouveau souhaite "une justice d’exception". Dans une brochure distribuée cet été, le candidat à la primaire de la droite écrit : "pour prévenir des actes exceptionnels, il faut une justice d’exception". Il poursuit : cette "justice d’exception (…) demande une modification de la Constitution : et alors ?"
L’avis de Pascal Jan. Pour le spécialiste, la proposition de Bruno Le Maire viendrait écorner le principe d’égalité de tous devant la justice. Mais, rappelle-t-il, "il y a déjà une justice particulière pour les terroristes". En effet, la cour d’assises spéciale est une exception du droit français. Elle est composée uniquement de magistrats professionnels.
- Ceux qui veulent modifier la Constitution pour des raisons économiques ou écologiques
François Fillon veut inscrire le principe d’égalité des régimes sociaux. En mars 2016, l’ancien Premier ministre a fait état du calendrier des réformes qu’il entend mener s’il est élu. Il souhaite notamment organiser un référendum en septembre 2017 "pour prolonger la tension politique qui caractérise l’élection présidentielle et les législatives", et "rendre très difficile la contestation sociale pendant cette période". Trois points devront être soumis aux Français, dont "inscrire dans la Constitution le principe d’égalité des régimes sociaux, entre le public et le privé" pour rendre "obligatoire et nécessaire la convergence des régimes sociaux".
L’avis de Pascal Jan. "Pourquoi faudrait-il une révision constitutionnelle ?", s’interroge Pascal Jan. "On mettrait fin à des situations spécifiques, mais le législateur peut très bien le faire dès lors que cela ne porte pas atteinte à des droits des personnes", assure-t-il. Le constitutionnaliste dit cependant comprendre la logique de François Fillon : "si c’est inscrit dans la Constitution, pour revenir dessus, ça sera bien plus compliqué".
Cécile Duflot veut inscrire "la République écologique" dans la Constitution. La députée, candidate à la primaire d’EELV, a expliqué fin août sur BFMTV qu’il fallait "mettre la lutte contre le dérèglement climatique et l’écologie dans la Constitution française". Pour Cécile Duflot, "la République française doit devenir une République écologique. Ça veut dire modifier la Constitution pour que dans l’article premier vienne l’idée de cette 'République écologique'", ajoute-t-elle.
L’avis de Pascal Jan. "Ça reste un objectif", tranche Pascal Jan. "Or, si l’on veut contraindre le législateur, il faut que ce soit des principes et des règles et non des objectifs". Le professeur des universités cite l’exemple de la Charte de l’environnement de 2004, "adossée" à la Constitution par la révision constitutionnelle du 1er mars 2005. "Le Conseil constitutionnel n’a pas été très ferme sur le respect de la Charte" lorsqu’il y avait "des lois contraires à ses dispositions, car ça reste des objectifs", rappelle-t-il.
- Ceux qui veulent tout remettre à plat
Arnaud Montebourg veut une VIe République... Il a été l’un des premiers à mettre l’idée sur la table. Arnaud Montebourg, candidat à la présidentielle, souhaite carrément en finir avec la Ve République et sa Constitution. Dans son discours de candidature à Frangy-en-Bresse, l’ancien ministre a confirmé son envie d’une VIe République dans laquelle les pouvoirs du président de la République seraient réduits, les députés seraient 350 contre 577, 70 d’entre- eux seraient élus à la proportionnelle, et les sénateurs seraient 200 dont 100 citoyens tirés au sort.
…Benoit Hamon aussi… Lui est candidat à la primaire de la gauche et plaide également pour une VIe République. Benoit Hamon souhaite que "le chef de l’exécutif ne soit plus irresponsable devant le Parlement, tel qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire qu’on ne peut rien faire pour contester ses choix", disait-il en août sur France Inter. La réduction du nombre de députés est aussi envisagée par le candidat.
…tout comme Jean-Luc Mélenchon. L’ancien patron du parti de Gauche et candidat à la présidentielle réclame lui aussi une VIe République depuis longtemps. Lors de son meeting de rentrée fin août, il a appelé à "changer la règle du jeu politique" pour "abolir la monarchie présidentielle". Jean-Luc Mélenchon veut notamment supprimer la Ve République qui "nous conteste le droit de nous présenter à la présidentielle" avec la règle des 500 parrainages.
L’avis de Pascal Jan. Le constitutionnaliste est farouchement opposé à l’idée d’une VIe République. "C’est un serpent de mer, ça revient systématiquement", commence-t-il. "Ils veulent renforcer les droits du Parlement, mais en réalité, ça reviendrait à renforcer les droits de la majorité législative. La présidentialisation du régime ne s’explique que parce que le président à une majorité au Parlement. Le problème de décrisper la vie politique, c’est de donner des pouvoirs à l’opposition pour contrôler", dit-il.
NKM veut supprimer le poste de Premier ministre et changer d’époque. Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate à la primaire de la droite et du centre, avait annoncé dès avril qu’elle ne croyait pas que "l’on renouvellera" la politique "sans changer la Constitution". Une VIe République donc ? Plus complexe pour l’ex-ministre, pour qui le renouveau va au-delà du "changement de numéro" : "je suis pour une transformation radicale, plus fondamentale encore que celles qui ont pu justifier dans le passé un changement de numéro". Sur RTL, en septembre, NKM a précisé qu’elle souhaitait, par ailleurs, la suppression du poste de Premier ministre.
L’avis de Pascal Jan. Supprimer le Premier ministre ? "Là, c’est une véritable réforme, on change de régime", explique Pacal Jan. "On passe à un régime présidentiel puisqu’en supprimant le Premier ministre, on supprime la responsabilité gouvernementale", ajoute-t-il. En clair, on aboutit à un régime américain dont on connaît les limites. "Le président n’a alors pas l’initiative de la loi, il ne peut rien contre le Parlement", conclut-il.