Comment votent les personnes âgées ? Plutôt à droite, répondront les plus au courant de la sociologie électorale. C'est vrai (voir encadré), mais la question n'est pas uniquement là. Comment votent-elles en pratique ? Se déplacer jusqu'aux urnes peut-être un véritable casse-tête pour certaines. Et la question se pose avec d'autant plus d'acuité pour les seniors qui, du fait de leur état de santé, résident dans des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Ils sont environ 600.000, selon les chiffres les plus récents de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES). Et tous ne voteront pas les 23 avril et 7 mai prochain, loin de là.
Juridiquement, rien n'est prévu. Car juridiquement, rien n'est prévu pour organiser leur vote. "Les EHPAD n'ont aucune obligation légale de faire quoi que ce soit", rappelle Fanny Coudray, directrice de la résidence de la Poterie de Chartres-de-Bretagne, dans l'Ille-et-Vilaine. Il existe bien une Charte des droits et libertés de la personne âgée en situation de dépendance, qui stipule que "l'exercice de ses droits civiques doit être facilité, notamment le droit de vote en fonction de sa capacité juridique". Mais cette Charte n'a aucun caractère contraignant.
Des aides à la procuration. Pour autant, "l'accompagnement des résidents pour voter est quelque chose que nous prenons en compte", assure Fanny Coudray, qui est également membre du bureau du bureau de la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées (FNADEPA). Dans son EHPAD, une animatrice réalise, plusieurs matins par semaine, une revue de presse pour "favoriser le débat" et tenir les résidents au courant de l'actualité politique. À l'approche du scrutin, "on a accompagné les démarches de procuration", raconte Fanny Coudray. Un tour des résidents a été fait pour leur demander s'ils souhaitaient voter et, le cas échéant, s'ils voulaient faire une procuration. "Ensuite, on a contacté chaque famille, aidé les résidents à rassembler les documents nécessaires et on s'est mis en relation avec les services de gendarmerie." Qui sont venus dans l'établissement pour éviter des déplacements trop lourds à organiser.
Les familles mises à contribution. Si la résidence de la Poterie est exemplaire, ce n'est pas le cas de tous les EHPAD. "L'application de la Charte est laissée à la discrétion de chacun", note Joëlle Le Gall, présidente honoraire de la Fédération nationale des associations et amis des personnes âgées et de leurs familles (FNAPAEF). "Les établissements essaient généralement de faire au mieux mais pour certains, c'est loin d'être une priorité." En cause : le manque de moyens. "On fait souvent porter la responsabilité aux familles", conclut Joëlle Le Gall. Ce qui peut évidemment poser problème lorsqu'elles sont absentes ou éloignées.
" Les établissements essaient généralement de faire au mieux mais pour certains, le vote des résidents est loin d'être une priorité. "
Accompagnement au bureau de vote. Fanny Coudray, de son côté, reconnaît volontiers qu'"en fonction des secteurs géographiques", les mesures mises en place peuvent être différentes d'un EHPAD à l'autre. Mais assume totalement de mettre les proches à contribution. "On insiste sur la place que doit tenir la famille en général dès l'entrée de la personne dans la résidence", explique-t-elle. Au moment des élections, c'est donc à elle, si aucune procuration n'a été faite, de venir chercher son parent résident pour l'emmener dans son bureau de vote. "Il y a des organisations de transport dans certains EHPAD, mais cela reste vraiment marginal." Les personnes accueillies dans son EHPAD qui sont inscrites sur les listes électorales dans la commune ont de la chance : le bureau de vote, à la Mairie, est accessible à pied. "Un professionnel peut les accompagner, mais beaucoup de familles s'en chargent aussi", souligne Fanny Coudray.
"L'enjeu électoral n'est pas le même pour tous les candidats". Du côté des partis politiques, rien n'est vraiment prévu pour inciter les personnes âgées résidant en EHPAD à voter. Mettre à disposition des moyens de transport pour les mener jusqu'aux bureaux de vote est logiquement interdit, mais les états-majors ne prévoient pas non plus d'actions de communication spécifiques. Leurs tracts et professions de foi arrivent dans les boîtes aux lettres de chacun. Cela s'arrête là. "L'enjeu électoral n'est pas le même pour tous les candidats", rappelle-t-on chez Benoît Hamon. "Le vote des seniors est moins prioritaire pour nous que pour la droite. Si on pouvait déjà arriver à faire voter les jeunes…"
Sous tutelle. Si, dans l'ensemble, Fanny Coudray assure que l'exercice des droits civiques des personnes âgées dépendantes pose rarement problème et qu'elle n'a eu d'écho de plaintes ni des familles, ni des résidents, les choses se corsent sur la question des personnes très malades ou lourdement handicapées. Pour elles, la capacité à choisir un candidat peut être mise en doute. Lorsqu'elles sont sous tutelle, la question ne se pose quasiment pas. "Généralement, elles n'ont plus le droit de vote. Des démarches peuvent être faites auprès du juge", explique Fanny Coudray. Dans les faits, cela n'arrive "quasiment jamais".
Épineuse question des malades d'Alzheimer... En revanche, nombre de personnes âgées atteintes de troubles cognitifs ne sont pas sous tutelle. Que faire, par exemple, pour les résidents souffrant d'Alzheimer qui ne sont pas sous tutelle, comme c'est le cas de 70% d'entre eux ? Les études sur le sujet sont rares, mais la fondation Médéric Alzheimer en a réalisé une auprès de 5.690 établissements en 2010. À l'époque, seules 54% des structures interrogées déclaraient avoir mis en place des mesures "facilitant l'exercice du droit de vote" pour les patients atteints de cette maladie neurodégénérative. Pour les 43% des établissements qui n'ont rien prévu dans ces cas de figure, la raison la plus invoquée est "l'absence de compétence de l'EHPAD en la matière".
Résultat : en l'absence de cadre juridique clair, c'est la famille qui place le curseur. Et reste juge de la capacité, ou non, du malade de se rendre aux urnes. "Généralement, elle n'insiste pas pour que son parent vote", estime Fanny Coudray. "Si la personne ne peut absolument pas s'exprimer, qu'elle est trop désorientée, elle n'a de toute façon pas d'intérêt pour l'actualité politique."
…et des handicapés mentaux. Le problème se pose aussi dans l'autre sens, pour les personnes sous tutelle qui se voient dépossédées de leur droit de vote. C'est le cas notamment des "personnes handicapées vieillissantes" que Fanny Coudray accueille, à partir de 45 ans, dans un "foyer de vie" à côté de l'EHPAD. "On a là des gens qui s'intéressent à l'actualité, avec lesquels on organise des ateliers de discussion, mais qui ne peuvent pas voter alors qu'elles en expriment le désir." Plusieurs associations, comme l'Unapei, ont déjà soulevé ce problème, appelant les pouvoirs publics à légiférer sur la question. Fanny Coudray estime quant à elle qu'on ne pourra faire l'économie d'engager "une réflexion dans les années à venir".
Les seniors penchent à droite
Traditionnellement, les personnes âgées sont parmi celles qui se mobilisent le plus. Selon la dernière enquête Ipsos pour le Cevipof, 75% des plus de 65 ans sont certains de voter dimanche, contre 58% des moins de 35 ans. En 2012, 87% d'entre eux avaient fait le déplacement.
Leur vote va majoritairement aux candidats à droite de l'échiquier politique. En 2012, 41% des plus de 65 ans avaient choisi Nicolas Sarkozy dès le premier tour, quand 30% avaient préféré François Hollande. En revanche, contrairement aux idées reçues, ils ne votent pas plus pour le Front national que la moyenne de la population. Selon les sondages, Marine Le Pen ne recueille les suffrages que d'environ 13% des seniors (contre 24% des moins de 35 ans).