C’était une première pour un président de la République. Lundi soir, Emmanuel Macron a prononcé un discours devant la Conférence des évêques, réunie au collège des Bernardins, à Paris. Une intervention devant les plus hauts dignitaires de l’Eglise catholique français qui a beaucoup fait réagir. Pour certains, classés à gauche pour la plupart, le président de la République n’a pas respecté l’esprit de la loi de 1905, portant sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, socle de la laïcité à la française. Des critiques "excessives" selon Nicolas Cadène, rapporteur général de l’observatoire de la laïcité.
- Ce qu’Emmanuel Macron a dit : "Nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer"
Ce que lui reprochent ses détracteurs : "Le lien entre 'l'Église et l'État' n'a pas lieu d'être. #Macron va trop loin. C'est irresponsable", a tweeté Jean-Luc Mélenchon. Le leader de la France insoumise a aussi qualifié le chef de l’Etat de "sous-curé" dans un autre message. "Que veut dire Emmanuel Macron lorsqu'il affirme que le ‘lien entre la République et l'Eglise a été abîmé’?", s’interroge de son côté Générations-s, le mouvement de Benoît Hamon, dans un communiqué. "Fait-il référence au mariage et à l'adoption pour tous ? Quand il propose de 'le réparer', s'agit-il d'une promesse clientéliste sur la future loi bioéthique ?"
L’avis de Nicolas Cadène : "En soi, il y a toujours eu un lien, un dialogue entre l’Etat et les différents cultes. Ne serait-ce que pour des raisons pratiques. Par exemple, les aumôneries, qu’on peut trouver dans les prisons, les hôpitaux, auprès de l’armée ou dans les lycées, sont prises en charge par l’Etat. Or, les aumôniers sont des ministres du culte. On peut aussi citer la gestion des cimetières ou les manifestations cultuelles sur la voie publique.
Emmanuel Macron a toute de même rappelé devant les catholiques que les citoyens devaient tous, "sans compromis", respecter les lois. Il a simplement voulu réaffirmer la nécessité d’un dialogue. Dialogue qui a toujours existé même s'il a été plus ou moins important, plus ou moins bon selon les périodes. Après, de quelle teneur, jusqu’où doit aller ce dialogue, ça peut tout à fait être débattu politiquement, il n’y a pas de problème là-dessus."
- Ce qu’Emmanuel Macron a dit : "Pour des raisons à la fois biographiques, personnelles et intellectuelles, je me fais une plus haute idée des catholiques. Et il ne me semble ni sain ni bon que le politique se soit ingénié avec autant de détermination soit à les instrumentaliser soit à les ignorer. (…) Et je suis convaincu que la sève catholique doit contribuer encore et toujours à faire vivre notre Nation. "
Ce que lui reprochent ses détracteurs : "Il s'agit, dans l'esprit du président de la République, d'anesthésier les catholiques pour pouvoir s'attaquer demain à la loi de 1905", a déclaré sur RTL Marine Le Pen. "Ça crée une forme de compétition des signes de reconnaissance entre religions. Les religions vont donc intervenir, les unes après les autres, en (disant) (...) ‘Il ne nous a pas montré autant d'affection à nous qu'à l'autre’, exactement ce que la loi sur la laïcité veut éviter", a ajouté la députée du Pas-de-Calais. De son côté, "Génération.s dénonce un discours qui s'inscrit dans une opération-séduction de l'électorat conservateur, au mépris de tous les principes républicains".
L’avis de Nicolas Cadène : "Emmanuel Macron a dit la même chose devant les autres cultes. A chaque fois, il leur a demandé de s’investir dans la vie de la cité, pour une plus grande cohésion nationale, pour faire Nation. Concernant les catholiques, il revient sur un aspect historique, sur l’influence qu’a pu exercer l’Eglise catholique dans l’histoire de France. Mais il ne renie absolument pas les autres influences, celles des autres religions, celles de l’Esprit des lumières. Là, le président de la République s’adressait aux catholiques, c’était donc normal qu’il insiste plus dessus. Ce serait problématique s’il ne traitait pas toutes les religions de la même façon. Mais il a participé au dîner du Crif, s’est exprimé devant le Conseil français du culte musulman et lors du colloque organisé à l’occasion des 500 ans de la Réforme protestante. Ce qu’il a dit hier devant les catholiques, il l’a exposé avant-hier devant d’autres cultes."
- Ce qu’Emmanuel Macron a dit : "Une Église prétendant se désintéresser des questions temporelles n'irait pas au bout de sa vocation", tandis "qu'un président de la République prétendant se désintéresser de l'Église et des catholiques manquerait à son devoir".
Ce que lui reprochent ses détracteurs : "La laïcité c'est la France, et elle n'a qu'un seul fondement : la loi de 1905, celle de la séparation des Eglises et de l'Etat. La loi de 1905, toute la loi, rien que la loi", a tweeté Manuel Valls, député apparenté La République en marche mais volontiers critique du chef de l’Etat lorsqu’il s’agit de laïcité. Générations a de son côté dénoncé "une atteinte sans précédent à la laïcité", "un affront inédit et dangereux de la part d'un chef de l'Etat à la loi de 1905". Quant à Olivier Faure, le nouveau premier secrétaire du PS, il a tweeté : "La laïcité est notre joyau. Voilà ce qu'un président de la République devrait défendre".
L’avis de Nicolas Cadène : "La loi de 1905 instaure la séparation, et affirme que l’Etat ne reconnaît aucun culte. La reconnaissance est à prendre dans le sens de salarier, organiser ou s’immiscer dans les affaires religieuses. Et inversement, que le culte exerce une influence très importante sur la conduite de l’Etat et sur la préparation de la loi. Emmanuel Macron n’est absolument pas revenu dessus sur ce principe fondamental.
Le titre V fait référence à la police des cultes, ce qui signifie que l’Etat doit veiller au maintien de l’ordre public quand il s’agit aussi des cultes. Et dès l’article 2, il est écrit que les aumôneries pourront être à la charge de l’Etat. Il y a donc toujours eu un lien. Et juridiquement parlant, il n’y a aucune atteinte au principe de laïcité dans le discours d’Emmanuel Macron. Dire que la laïcité a été bafouée est donc excessif."