"Je suis chrétien. Ça veut dire que je ne prendrai jamais une décision qui sera contraire au respect de la dignité humaine, de la personne humaine." Cette phrase, prononcée par François Fillon mardi soir au 20h de TF1 alors qu'il était en train de déminer son programme de santé, a presque failli passer inaperçue.
Une longue tradition chrétienne chez les responsables politiques. Après tout, le vainqueur de la primaire à droite n'est pas le premier candidat à la présidentielle à être chrétien. Charles de Gaulle, Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing allaient à la messe tous les dimanches. François Mitterrand comme Jacques Chirac étaient moins assidus mais néanmoins croyants. Nicolas Sarkozy, qui se définissait comme un catholique non-pratiquant, avait publié en 2004 un livre d'entretien avec un prêtre dominicain, avant de s'afficher, une fois à l'Élysée, aux côtés de Monseigneur André Vingt-Trois. Il avait même été le premier à se signer lors d'une cérémonie officielle.
Abolition des frontières entre privé et public. Avec François Fillon, néanmoins, quelque chose a changé. Le candidat à la présidentielle lie directement sa foi à son action politique, expliquant que c'est précisément parce qu'il est chrétien (et gaulliste) qu'il ne démantèlera pas la Sécurité sociale. Ainsi, il franchit une limite qu'il s'était pourtant lui-même imposée il y a trois mois, lorsqu'il avait été attaqué sur ses positions conservatrices en matière d'avortement. À l'époque, il avait rappelé qu'il était "capable de faire une différence entre [ses] convictions religieuses et l'intérêt général". Si bien que, même s'il était "philosophiquement et compte tenu de [sa] foi personnelle" contre le recours à l'IVG, il ne reviendrait jamais sur ce droit s'il arrivait au pouvoir. Trois mois après, cette frontière élevée entre une croyance religieuse qui ne relève que de la sphère privée et une action politique nécessairement publique est abolie par le candidat lui-même.
Un mélange "déplacé". Cette déclaration a d'ailleurs hérissé une partie de la classe politique, à droite comme à gauche. "Je suis croyant, je ne vais pas m'offusquer d'un mouvement de foi, mais comment peut-on arriver à mélanger la politique et la religion à ce point de manière déplacée ?", s'est offusqué François Bayrou, président du MoDem, sur iTELE. "Le principe de la France, c'est qu'on ne mélange pas religion et politique." Pour Henri Guaino, député LR des Yvelines, François Fillon a fait "une faute morale". "On ne peut pas dire qu'on lutte contre le communautarisme et qu'on est le candidat des chrétiens", s'est insurgé sur LCI celui qui n'a pas réussi à obtenir les parrainages nécessaires pour participer à la primaire et se présente désormais directement à la présidentielle.
Je refuse de regarder les croyants comme un corps électoral. Le principe de la France est de ne pas mélanger religion et politique. @itele
— François Bayrou (@bayrou) 4 janvier 2017
Manœuvre électoraliste ? Nombreux sont ceux qui voient là une manœuvre électoraliste, opération de séduction peu subtile vis-à-vis d'un électorat catholique très courtisé. "Je connais François Fillon depuis longtemps, je ne l'ai jamais vu faire des déclarations de cet ordre donc ça doit être lié aux élections d'une manière ou d'une autre, à ce qu'on croit être à un corps électoral", a réagi François Bayrou. "Je ne comprends pas qu'on se laisse aller à ce type de dérive."
Difficile, néanmoins, de ne voir dans l'attitude du candidat LR que de l'opportunisme tant elle apparaît cohérente avec la campagne qu'il a menée pour la primaire de la droite. Pendant celle-ci, il n'a cessé de s'adresser à un électorat catholique, conservateur, plutôt rural. "C'est sur cette orientation" catholique que François Fillon a remporté le scrutin pré-présidentielle, a rappelé Jean-Christophe Cambadélis sur Europe 1. "Il en est maintenant prisonnier."
Quand le clivage paie. Il n'y a guère eu que Christian Jacob pour défendre bec et ongle le Sarthois. "Pour moi, c'est deux valeurs sûres d'être gaulliste et chrétien", a-t-il déclaré sur Europe 1. "Ça n'est pas une maladie honteuse d'être chrétien, c'est pas grave. C'est une phrase parmi d'autres qui montre son action de solidarité." Cette "phrase parmi d'autres" relève pourtant d'un positionnement identitaire. François Fillon fait de sa foi une définition politique. Avec le risque de cliver. Mais le clivage ne conduit pas toujours à la défaite. Ce n'est pas celui qui a gagné la primaire haut la main en s'affirmant résolument à droite, alors que son adversaire Alain Juppé tentait de rassembler au centre, qui dira le contraire.