Demi-victoire ou semi-défaite ? Mardi après-midi, après la décision du tribunal de grande instance de Créteil, la trentaine d'adhérents de La République en marche! qui s'est regroupée en collectif "La Démocratie en marche" persistait à voir le verre à moitié plein. Certes, la justice, saisie pour un vice de forme, ne leur a accordé ni suspension ni report du vote des statuts du parti. Mais en prolongeant la tenue de ce scrutin électronique, prévu à l'origine du 23 au 30 juillet, de quinze jours supplémentaires, les juges ont reconnu que le délai normal d'un mois entre l'annonce du vote et son déroulé n'avait pas été respecté. "Ils nous ont donné raison", assène donc Rémi Bouton, "marcheur" du 14e arrondissement de Paris à l'origine du collectif.
Parti peu démocratique. L'optimisme de celui qui se présente comme une "sentinelle" plutôt qu'un "frondeur" ne suffit pas à masquer les conséquences de cette décision de justice. La REM peut poursuivre le vote sans obstacle, et surtout sans changer une ligne des statuts soumis à l'approbation des adhérents. Or, ce sont bien ces statuts qui posent problème aux "sentinelles" de "La Démocratie en marche". Au sein du collectif, on dénonce un parti verrouillé, qui ne prévoit aucun vote interne pour l'ensemble de sa base et se révèle donc peu démocratique. Dans ce contexte, la saisie de la justice pour un vice de forme visait surtout à attirer l'attention des dirigeants du mouvement sur un mal plus profond.
" C'est un mélange d'amateurisme et d'arrogance de la part du mouvement "
"On espère qu'on sera entendu". Rémi Bouton y croit encore. Il persiste à penser que si le QG a les mains libres, il prêtera quand même une oreille attentive aux militants mécontents. "C'est idiot de faire voter des statuts à tout berzingue alors qu'on peut construire le mouvement sereinement. On espère que les dirigeants de la REM nous auront entendus", insiste-t-il. En gage de bonne volonté, le "marcheur" souligne que l'objectif du collectif n'est pas de se lancer dans un bras de fer avec l'état-major du parti. "On ne fera pas appel. On est là pour alerter, pas pour les enquiquiner avec des actions en justice. De leur côté, je ne peux pas imaginer qu'ils ne fassent rien."
"Amateurisme" et "arrogance". Pourtant, il y a bien peu de signe encourageant. Avant l'action en justice, dont elles ont pourtant été prévenues, les instances de la REM ont refusé le report du vote. "C'est parce que le dialogue était impossible que nous avons saisi le tribunal", explique Rémi Bouton. Après la saisie en référé, toutes les prises de parole publiques sur le sujet ont minimisé la portée de la fronde. Et la décision du tribunal de grande instance a simplement entraîné l'envoi d'un communiqué laconique pour en prendre acte. "C'est un mélange d'amateurisme, de la part d'un mouvement qui vient de se créer et ne sait pas faire, et d'arrogance, avec un parti qui, en un an, a réussi à gagner la présidentielle et les législatives", s'agace une adhérente de la dernière heure qui fait désormais partie du collectif. Cette ancienne militante du MoDem reste stupéfaite devant un tel "verrouillage".
"Nous avons toujours été dans l'explication". Du côté de la REM, on fait valoir que le dialogue a bien eu lieu, en amont du vote. Deux consultations ont été organisées, la première en juin, la seconde entre le 8 et le 13 juillet, sur la base des projets de statuts. "Nous avons reçus 2.500 retours, dont nous avons tenu compte", assure le mouvement. Qui souligne par ailleurs que "la plupart des partis ne soumettent même pas leurs statuts au vote". "Ce vote en tant que tel est un acte démocratique." Enfin, des adhérents, dont certains du collectif, ont été reçus au QG du mouvement au mois de juillet. "Notre démarche a toujours été d'être dans l'explication."
" Il y a parfois un culte de la personnalité autour d'Emmanuel Macron qui empêche toute réflexion. "
Peu de soutiens d'élus... Insuffisant pour ces adhérents mécontents, qui estiment que la consultation n'a abouti qu'à des changements marginaux dans les statuts et qu'ils n'ont pas été pris au sérieux lors de ces rendez-vous. Leur bataille s'annonce d'autant plus difficile qu'ils ont peu de moyens -leur avocate, également militante à la REM, est bénévole- et peu de soutiens. Parmi les responsables politiques, quelques uns, comme l'ancienne ministre Corinne Lepage ou le député François-Michel Lambert, ont publiquement pris leur parti. Des initiatives isolées qui se comptent sur les doigts d'une main. "On n'est pas dans l'action politique mais dans quelque chose de spontané, qui part de la base", insiste Rémi Bouton. "On n'a pas cherché à avoir des soutiens d'élus."
...et des militants divisés. Mais la base aussi est très divisée sur la question. Beaucoup d'adhérents votent les statuts, que ce soit par conviction ou les yeux fermés, reprochant au collectif de vouloir fronder, entraver l'action du parti et, partant, celle de l'exécutif. "Il y a parfois un culte de la personnalité autour d'Emmanuel Macron qui empêche toute réflexion", regrette une adhérente, tandis que beaucoup de militants se réjouissent de ce qui est présenté comme des avancées par le parti, comme l'introduction du tirage au sort pour intégrer la base aux instances dirigeantes.
Des adhérents pourraient quitter le parti. Que se passera-t-il si le QG continue sur sa lancée et s'emmure dans le silence ? Le collectif, qui rappelle qu'il soutient toujours le président, son gouvernement et sa majorité parlementaire, n'a pas pris de position là-dessus. Mais si rien ne bouge, "la crédibilité de La République en marche! en aura pris un sacré coup", prédit Rémi Bouton. Le nombre d'adhérents pourrait aussi s'en ressentir. "Certains d'entre nous auront bien du mal à rester à la rentrée."