Lorsqu'elle arrive Place de la Nation, ses équipes sont déjà à pied d'œuvre depuis trois quarts d'heure, tracts en main. Laëtitia Avia, candidate de la République en marche! dans la 8e circonscription de Paris, a pris du retard sur son emploi du temps : "Vous vous levez avec une montagne de choses à faire, et finalement votre journée ne ressemble jamais à ce qui était prévu". La candidate néophyte a passé son après-midi à essayer de caler pour le lendemain, jeudi 25 mai, un café politique avec Marlène Schiappa, la nouvelle secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes.
À 31 ans, Laëtitia Avia a choisi de se lancer dans le grand bain politique avec ces législatives, et en se présentant dans la 8e circonscription de Paris, un bastion de gauche aux mains de la socialiste Sandrine Mazetier depuis 2007. La partie s’annonce difficile mais pas insurmontable dans cette circonscription à cheval entre les 12e et 20e arrondissements de Paris qui a placé Emmanuel Macron en tête du premier tour de la présidentielle (34,89%) devant Jean-Luc Mélenchon (21,35%). Après le grand chambardement de la présidentielle, Laëtitia Avia estime que l’heure est au changement de tête : "En son temps, Sandrine Mazetier aussi a voulu faire bouger les choses : elle a arraché la circonscription à la droite. Mais de figure du renouvellement, elle est devenue gardienne du temple. C'est dommage".
" Macron ? "J'étais sa supérieure, il était toujours en retard" "
Cette avocate spécialisée dans les litiges commerciaux a rejoint le mouvement d'Emmanuel Macron dès son lancement, en avril 2016. "Je lui ai envoyé un message : 'Je ne sais pas ce que tu vas faire avec ça. Mais si tu as besoin de moi, je suis là'. Dix jours plus tard, j'étais dans l'équipe". Il faut dire qu'elle connaissait l'intéressé avant même qu'il ne devienne banquier d'affaires. En 2008, elle est secrétaire générale de la commission Darrois sur les professions du droit, dont Emmanuel Macron est l'un des rapporteurs. "J'étais sa supérieure. Il était toujours en retard", s'amuse-t-elle. "On est resté en contact". Durant la campagne présidentielle, Laëtitia Avia est l'une des expertes du programme justice, et participe à la structuration du mouvement avant d’en devenir porte-parole.
C'est Emmanuel Macron, indirectement, qui la pousse à candidater. Interrogé par Causette en février, il regrette qu'il n'y ait pas plus de femmes engagées à ses côtés, et la cite en exemple : "Laëtitia Avia ne veut pas être candidate. Pourquoi ? Il y a une forme d'autocensure". Un déclic : "Je lui ai envoyé un mail pour lui dire que j'avais entendu son appel", raconte Laëtitia Avia qui ignore toujours ce qui a pu faire basculer la commission d'investiture en sa faveur. "Je pense qu'ils ont dû se demander si j'avais la carrure".
Une campagne dans les pas du président
Sa campagne, lancée le 11 mai, reproduit à son échelon ce qu'a fait Emmanuel Macron au niveau national. Elle a débuté par une marche "ou l'on a demandé aux gens ce qu'ils attendaient d'un député". Désormais, elle convie les électeurs à des ateliers citoyens afin de transposer au niveau local le "Contrat avec la Nation" du président. Mercredi, en fin de journée, ils sont une petite dizaine – des retraités pour l'essentiel - à l'attendre au pied de sa permanence, boulevard de Picpus.
Chaque jour de la semaine, Laëtitia Avia occupe un lieu de rencontre différent à travers la circonscription, "une manière de rester plus près des gens". À L'Etablisienne, un espace de co-working, elle loue une salle à l'étage. Le rez-de-chaussée est occupé par le joyeux bric-à-brac d'un dépôt-vente et d'un atelier de menuiserie dont les établis sont à la location ; quelques riverains, scie et marteau en main, y croisent des membres de l'équipe de campagne. "Une soixantaine de personnes en tout", dont on ne sait exactement qui fait quoi. "Je n'ai pas voulu avoir d'organigramme", justifie Laëtitia Avia.
Chaque mercredi, Laëtitia Avia installe sa permanence dans un espace de co-working, déjà occupé par un atelier de menuiserie. (©Europe1)
Plus tard dans la soirée, la candidate retrouve un groupe de jeunes pour un "snack politique", dans un fast-food du Cours de Vincennes. Un rendez-vous mis en place avec un associatif, destiné à présenter le rôle d’un député. En chemin, Laëtitia Avia ne cache pas son appréhension : elle se prête à cet exercice pour la première fois, mais la démarche résonne avec les thèmes de sa campagne : "l’uniformisation des protections, l’égalité des chances et l’inclusion". Son tract de campagne – fraîchement imprimé à 110.000 exemplaires dont 80.000 directement envoyés dans les boîtes aux lettres – met précisément l'accent sur les promesses sociales du président : des classes plus petites dans les zones prioritaires, l’universalisation de l’assurance chômage, la création d’un Pass Culture pour les jeunes de 18 ans, etc.
Dans ce minuscule établissement de restauration rapide, ils sont treize – douze garçons, une fille – à l’attendre, bruyamment. Ils vivent dans les barres d’immeuble en bordure du périphérique, ont 15 ans et plus. Un seul a l'âge de voter. "C’était compliqué de faire venir des plus vieux, l'argument du repas gratuit a motivé les autres", nous souffle le bénévole qui les a amené. Un léger trouble passe sur le visage habituellement souriant de la candidate, qui peine à calmer les railleries de l’auditoire.
Mais lorsqu’elle parle de son enfance à Saint-Ouen et de son entrée à Science po grâce à une convention d’éducation prioritaire, le silence se fait. Rapidement, la conversation tourne autour des sujets égrenés pendant la présidentielle : la sécurité, le service militaire, les bavures policières. Surtout les bavures policières. Une heure plus tard, elle sort épuisée, un peu émue aussi : "Il faudra revenir. C’est important qu’ils me revoient".
Marlène Schiappa au chevet de la candidate
Le lendemain matin, la candidate repart pour une nouvelle séance de tractage. En ce jeudi de l'Ascension, le soleil tape et échauffe les esprits. Deux militants UPR sont déjà en place à proximité d'une brocante du boulevard Diderot. Avec un membre de l'équipe, le ton monte : "Votre programme n'est pas applicable !". Les candidats à la députation se croisent fréquemment sur les marchés, Laëtitia Avia assure entretenir des relations cordiales avec eux. "Le plus dur, quand on débute, c'est la désinformation : subir les attaques des autres partis sur des choses erronées", confie-t-elle. "On me dit que c'est le jeu politique, mais quand on vient de la société civile, on n'a pas à subir ça. Au contraire, on devrait encourager les engagements personnels !"
Et les encouragements arrivent un peu plus tard. Marlène Schiappa, la secrétaire d'Etat, descend de son VTC devant la mairie du XIIe arrondissement avec pour seule escorte un conseiller – période de réserve oblige, les membres du gouvernement n'ont pas à utiliser les moyens de l'Etat pour faire campagne. Sur le parvis, la responsable gouvernementale et la candidate font le tour d'une installation photo contre le sexisme. "C'est primordial d'être avec les candidats, main dans la main, et de les soutenir dans leur campagne", explique Marlène Schiappa. "C'est sur eux que l'on va s'appuyer pour mettre en œuvre la transformation du pays".
Marlène Schiappa arrive en milieu d'après-midi pour accompagner la candidate. (©Europe1)
L'après-midi finissant, la chaleur devient étouffante. Elle pousse la petite délégation dans une brasserie dont la forme et les auvents rouges, à l'angle du boulevard de Reuilly et de la rue Taine, pourraient presque rappeler La Rotonde, boulevard du Montparnasse, où les caméras de télévision s'étaient précipitées en nombre le soir du premier tour. Une cinquantaine de militants, déjà attablés, applaudissent lorsque la nouvelle secrétaire d'Etat fait son apparition. Laëtitia Avia présente Marlène Schiappa comme sa "marraine dans cette campagne". Au milieu des félicitations, celle-ci veut lever un dernier doute : "Membre de la commission d'investiture, je suis soumise au secret. Mais maintenant je peux bien l'éventer, nous n'avons pas hésité une seconde en voyant le nom de Laetitia !" La challengeuse a encore deux semaines pour prouver qu'En Marche! a fait le bon choix.
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