Et si le Parti socialiste se coupait d'un de ses électorats les plus fidèles ? Plus politisés que la moyenne, les enseignants se posent en effet des questions. Après la réforme des rythmes scolaires portée par Vincent Peillon au début du quinquennat, c'est désormais la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem qui fait grogner le monde éducatif. La suite d'un lent processus de désamour. Au point de se détourner du PS en 2017 ? Europe 1 s'est rendu à la manifestation des enseignants, mardi à Paris, pour leur poser la question.
François Portzer, président national du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC), hostile à la réforme, nous avait prévenu dès lundi : "les enseignants ne sont pas sur un clivage politique. Il n'y a pas de réformes de gauche ou de droite, donc ne vous attendez pas à des banderoles contre le président". De fait, on a bien cherché, devant, derrière, sur les cotés, et on n'a rien trouvé. Rien entendu, non plus. Mais entre les consignes officielles des syndicats et la réalité des convictions des enseignants, il y a parfois un hiatus.
"Il nous a trahi ! Il a trahi le PS ! Il a trahi les profs !"
Julie, enseignante rennaise de 28 ans venue à Paris pour l'occasion, assure ainsi avoir été "super heureuse de voter Hollande en 2012 ! Depuis, quelle déception… La jeunesse priorité du quinquennat, foutaise !" Philippe, 54 ans, enseignant en banlieue parisienne, est plus remonté encore : "il nous a trahi ! Il a trahi le PS ! Il a trahi les profs !" Quant à Etienne, 44 ans mais grimé comme un gamin, il résume bien la pensée ambiante : "on va voir comment va évoluer cette réforme avant de crier au loup. Mais si le gouvernement ne nous entend pas, alors il prend des risques pour 2017…" Une menace à peine voilée, que les profs ont déjà mise à exécution par le passé.
L'histoire a en effet déjà montré que les enseignants pouvaient être adeptes du nomadisme électoral. "Depuis 50 ans, les enseignants votent massivement pour la gauche, mais pas toujours nécessairement pour le PS. Sous Mitterrand, il n'y a pas eu une fidélité à toute épreuve", rappelle ainsi Claude Lelièvre, historien spécialiste de l'éducation, contacté par Europe 1.
"Le danger est donc grand pour l'actuelle majorité !"
Jérôme Fourquet, directeur du département opinion publique à l'IFOP, pousse l'analyse plus loin : "en 2002 puis en 2007, on a assisté à une dispersion des voix de la gauche, tendance amplifiée chez les enseignants car plus idéologisés que la moyenne. Ils avaient eu le sentiment d'être braqué par le PS, avec le "mammouth" de Claude Allègre * puis les 35 heures de Ségolène Royal**. Ils ont ainsi contribué à disqualifier Jospin en 2002 et plombé Royal en 2007. Le danger est donc grand pour l'actuelle majorité !", analyse-t-il pour Europe 1.
En 2012, François Hollande avait retenu la leçon. En promettant la création de 60.000 postes dans l'Education nationale et en faisant de la jeunesse la priorité de son quinquennat, le candidat socialiste d'alors avait su se rabibocher avec les profs. "C'était bien vu mais, depuis, les profs le regardent à la loupe", juge Jérôme Fourquet. Et entre la succession de ministres depuis le début du quinquennat (Peillon, Hamon puis Vallaud-Belkacem), la réforme sur les rythmes solaires, la difficulté de créer effectivement des postes en plus, et désormais la réforme du collège, dire que les enseignants ne sont pas très emballés est un euphémisme.
"Si la contestation s'arrête rapidement, ce sera indolore pour le président"
Habile en 2012, François Hollande devra donc l'être encore plus en 2017. S'il ne veut pas s'aliéner le monde éducatif, le président va devoir réviser ses cours de maths pour résoudre l'équation suivante : répondre avec fermeté à la droite, faire passer la réforme… mais en distribuant quelques bonbons aux syndicats. Une gageure, pour le moment, à en croire François Portzer, patron du SNALC : "ce n'est un secret pour personne que François Hollande a de moins en moins de soutiens. Et ce n'est pas en soutenant une réforme qui fait 80% de mécontents qu'il va en gagner !"
Outre compter sur ses qualités de tacticien, François Hollande a une autre option : attendre et voir venir. Car la grève de mardi n'a été suivie que par 27,6% de profs selon le ministère - "plus de 50%", affirme de son côté le SNES, principal syndicat - et dans les rues de Paris, il n'y avait pas foule. "Si la contestation s'arrête rapidement, alors ce sera indolore électoralement pour le président. Par contre, si cela dure, qu'il y a des violences ou des dérapages, alors là cela infusera davantage dans les esprits et cela pourrait lui coûter des voix", estime l'historien Claude Lelièvre, suivi sur ce terrain par le sondeurJérôme Fourquet : "l'ampleur et la suite du mouvement détermineront l'ampleur de la perte électorale".
"Si je vote encore Hollande en 2012, alors ce sera à cause de Le Pen"
Si le risque est donc réel - "oui, Hollande peut perdre des points dans cet électorat, c'est certain", assure le politologue Gérard Grunbert, spécialiste du PS, joint par Europe 1 - le chef de l'Etat a encore quelques cartouches en stock pour conserver cet ancrage traditionnel. La montée du Front national en est une. "Si les profs sentent qu'il y a un risque de voir Marine Le Pen au second tour, alors je pense qu'ils se mobiliseront en masse derrière Hollande", assure ainsi Claude Lelièvre. Le fameux "vote utile" à la rescousse du président socialiste.
"Je suis déçue… Il m'a déçue. Si je vote encore Hollande en 2012, alors ce sera uniquement à cause de Le Pen, pas pour lui", affirme ainsi Madeleine, 49 ans. "Exactement comme toi !", assure sa voisine, "latiniste et fière de l'être". Mais le "vote utile" n'emballe pas tout le monde : "j'ai voté Besancenot en 2002 et je m'en suis voulu. Alors j'ai voté Royal en 2007 et Hollande en 2012. Mais cette fois, c'est fini, on ne m'y reprendra plus avec le vote utile !", tonne Toufik, 34 ans, particulièrement énervé.
Une impopularité record, des alliés fâchés et un électorat traditionnel déçu, François Hollande sait ce qu'il a à faire s'il veut rester cinq ans de plus à l'Elysée. Jérôme Fourquet, directeur du département opinion publique à l'IFOP, lui glisse un dernier conseil, en forme d'avertissement : "Le PS ne peut pas gagner en 2012 sans les profs, 2002 et 2007 l'ont montré."
*Le 24 juin 1997, le ministre de l'Education de Lionel Jospin prononce la phrase : « il faut dégraisser le mammouth », qui entraîna la colère des syndicats.
** "Comment se fait-il que les profs du secteur public aient le temps d'aller faire du soutien individualisé payant et n'ont pas le temps de faire du soutien individualisé gratuit dans les établissements scolaires ?", s'était interrogée la candidate socialiste fin 2006.