Alors qu'un déluge de critiques s'abat sur le gouvernement depuis la fuite de l'avant-projet de loi de réforme du travail, lui semble passer entre les gouttes. Emmanuel Macron, ministre de l'Economie, apparaît relativement épargné par les charges, notamment au sein de la majorité, qui ciblent davantage Manuel Valls.
Projet de loi "El Macron". Pourtant, c'est bien dans les bureaux de Bercy qu'ont été élaborées les mesures les plus controversées du projet de loi El Khomri, à tel point que celui-ci a été surnommé "El Macron" par le leader de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly. Le plafonnement des indemnités prud'homales figurait dans la loi Macron et n'en a été retiré qu'après une censure partielle du Conseil constitutionnel, à l'été 2015. Les Sages, d'accord avec le principe, contestaient l'un des critères retenus pour limiter les indemnités : l'effectif de l'entreprise. Débarrassée de ce critère, la mesure est réapparue dans le texte de réforme du travail.
Solidarité infaillible. De même, Emmanuel Macron a poussé pour revoir la définition du licenciement économique dans le projet de loi. Et celui qui s'est fait le chantre de la flexibilité n'a pu que se féliciter des mesures en faveur de l'assouplissement du temps de travail. Le ministre de l'Economie a d'ailleurs été parmi les premiers (et les rares) à prendre publiquement fait et cause pour le texte de Myriam El Khomri dès que celle-ci en a fait la promotion, dans une interview aux Echos, le 18 février.
Manuel Valls en première ligne. Cette influence indéniable sur le texte, doublée d'une infaillible solidarité, faisait du ministre de l'Economie une cible idéale pour l'aile gauche de la majorité, qui adore le brocarder. Comment expliquer qu'Emmanuel Macron s'en sorte blanc comme neige ? D'abord parce qu'en se positionnant en première ligne, Manuel Valls a absorbé la majorité des coups. Le Premier ministre, dont le cabinet est soupçonné d'avoir entièrement supervisé le projet de loi à la place des collaborateurs de la ministre du Travail (certains l'ont d'ailleurs dénoncé), a joué la carte de la fermeté absolue dès le début de la bronca. La menace d'utilisation de l'article 49.3 pour passer le texte en force, brandie avant même sa présentation en conseil des ministres, portait la signature de Matignon. Et le chef du gouvernement a enfoncé le clou à plusieurs reprises en opposant deux "gauches irréconciliables".
Appel au dialogue. A l'inverse, Emmanuel Macron s'est préservé en jouant l'apaisement le premier. Au paroxysme des crispations, alors qu'une pétition sur Internet avait recueilli plus de 700.000 signatures en une semaine et que les syndicats étudiants et lycéens commençaient à s'agiter, le ministre de l'Economie a dégainé une interview apaisante dans le JDD du 28 février. "Le gouvernement est à l'écoute et ne considère pas que tout est intangible", disait-il alors, vantant "l'esprit de dialogue" de Myriam El Khomri. "Nous sommes à un moment du quinquennat où on ne peut pas tout brutaliser", lançait-il comme un appel du pied à Manuel Valls.
Passion pour les débats parlementaires. Celui qui était passé maître dans l'art de provoquer des crises d'apoplexie chez Gérard Filoche aurait-il changé ? En réalité, prôner le dialogue n'est pas une musique nouvelle dans la bouche du patron de Bercy. Il suffit, pour s'en convaincre, de se souvenir des débats parlementaires de sa loi de croissance et d'activité. Présent à toute heure du jour et de la nuit, tant en commission que dans les hémicycles, Emmanuel Macron s'était lancé dans une opération séduction auprès des députés et des sénateurs, amenant les plus récalcitrants à lui reconnaître au moins cette qualité : celle d'être ouvert au débat.
Vanter la "méthode Macron". "Emmanuel Macron a joué le jeu jusqu'au bout de la méthode participative", se souvient Pascal Terrasse. Pour le député socialiste proche du ministre, la loi de croissance et d'activité a été élaborée en concertation permanente avec les parlementaires. "C'était une méthode horizontale, pas verticale." Le ministre de l'Economie lui-même n'est pas peu fier, un an après l'avoir mis en pratique, de cette "co-construction" avec le Parlement. "Je pense que c'est la transparence, le débat, l'explication du motif de la réforme, ce que j'ai longuement fait […] qui permet de dépassionner le débat et d'avancer", a-t-il déclaré mardi lors d'une réunion destinée à faire le point sur les avancées de sa loi de croissance et d'activité.
"Le gouvernement ferait bien de s'en inspirer". Certes, la méthode Macron n'a pas empêché la loi de croissance et d'activité d'être adoptée à coups de 49.3. Mais le ministre de l'Economie n'était pas favorable à ce passage en force à l'époque et a reproché à Manuel Valls de lui avoir forcé la main. "La douleur personnelle d'Emmanuel Macron sur le 49.3 reste intacte encore aujourd'hui", souligne Pascal Terrasse. Pour Richard Ferrand, président de la mission d’information sur l’application de la loi Macron, le contexte est différent avec la loi El Khomri. "On nous explique avant même d'avoir vu le texte que si ça se passait mal, il y aurait utilisation du 49.3. C'est une maladresse très mal vécue par les parlementaires", a déclaré l'élu dans une interview à L'Opinion. "Aujourd'hui j'entends certains collègues, qu'on ne peut pas soupçonner de complaisance à l'égard du ministre de l'Economie, qu'avec Emmanuel Macron, "au moins on pouvait discuter". Le gouvernement ferait bien de s'en inspirer plus souvent."
Revanche après un début d'année difficile. Loin de l'emporter dans la tourmente, la crise autour de la loi El Khomri a donc un goût de revanche pour Emmanuel Macron. Le ministre de l'Economie avait connu un début d'année difficile, entre le phagocytage de sa loi Noé par d'autres projets de loi, son recul dans l'ordre protocolaire et son inimitié grandissante avec Manuel Valls. Avec la réforme du travail, le Premier ministre espérait se montrer le plus "réformiste" des deux. Au final, Emmanuel Macron s'en sort avec une image de meilleur pédagogue.