Plutôt discrète depuis le début du quinquennat, Martine Aubry passe à l'offensive. Dans une interview accordée au Journal du dimanche, la maire de Lille critique sévèrement la politique économique de François Hollande et de Manuel Valls et en se posant clairement en chef de file des députés PS frondeurs. "Je demande qu'on réoriente la politique économique. (Il faut) emprunter le bon chemin dans les deux ans qui viennent" faute de quoi la gauche va "échouer", lance-t-elle en direction du chef de l'Etat. Manuel Valls et François Hollande ont réagi dimanche, assurant que les réformes se poursuivront.
Aubry passe la seconde. "Je ne me résigne pas à la victoire de la droite en 2017", lâche la maire de Lille dans les colonnes du JDD. Martine Aubry avait, sur Europe 1, amorcé son retour sur la scène politique en s'insurgeant contre la réforme territoriale et l'abandon de l'encadrement des loyers. Mais elle semble être passée à la vitesse supérieure. Elle a d'ailleurs lancé une deuxième salve en publiant dans la nuit sur internet sa contribution aux Etats généraux du PS, où elle plaide pour "une nouvelle social-démocratie", un projet qui n'est, insiste-t-elle, "ni le libéralisme économique, ni le social-libéralisme". Un texte signé à ce stade par 34 responsables socialistes dont des frondeurs comme Jean-Marc Germain et Christian Paul, des présidents de région (Jacques Auxiette, François Bonneau, Marie-Guite Dufay et René Souchon), les ex-ministres François Lamy et Philippe Martin.
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"Le bon réglage des politiques économiques". Dans le JDD, si elle admet que l'exécutif a accompli quelques "bonnes choses" ("le retour de la France sur la scène internationale, les moyens complémentaires donnés à la police, à la justice, à l'éducation, la retraite à 60 ans pour les longues carrière"), tout le reste de l'interview est un réquisitoire contre l'action du tandem Hollande-Valls. "Nous avions prévu qu'à mi-mandat, la croissance serait revenue, le chômage en repli et les déficits réduits en deçà de 3 %. Ce n'est pas le cas. Il nous faut trouver au plus vite le bon réglage des politiques économiques qui permettra de sortir la France de la crise", assène-t-elle à la veille du vote en première lecture de la partie recettes du budget 2015.
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"Une politique au détriment de la croissance". Martine Aubry ne passe pas par quatre chemins pour critiquer le chef de l'Etat. "Regardons la vérité en face. La politique menée depuis deux ans, en France, comme presque partout ailleurs en Europe, s'est faite au détriment de la croissance", lance-t-elle dimanche. Et d'en rajouter une couche : "il n'y a pas d'un côté les sérieux et de l'autre les laxistes. Mais je demande une inflexion de la politique entre la réduction des déficits et la croissance". Il faut "refaire de la politique", "donner la destination du voyage" car "on n'a pas fixé le cap", déplore celle qui, en privé, ne perd jamais une occasion d'étriller le chef de l'Etat.
Chef des frondeurs. Surtout, si ses amitiés avec certains "frondeurs" étaient connues, Martine Aubry franchit un pas supplémentaire en disant pour la première fois publiquement "partager leurs propositions" économiques."J'espère que la prise de conscience sera là, que le débat aura lieu. En tout cas, plus on sera nombreux à le dire à gauche plus on aura une chance d'être entendus", lance-t-elle en guise d'avertissement. A l'unisson de ces frondeurs, elle juge d'ailleurs que "20 milliards d'euros peuvent et doivent être libérés sur les 41" d'aides aux entreprises. Elle juge aussi qu'une grande réforme fiscale "est plus que jamais nécessaire pour réconcilier les Français avec l'impôt" et surtout "préférable à des mesures au fil de l'eau. Une façon de se poser très clairement en recours à gauche. Pourtant, promis juré, elle n'est "candidate" à rien d'autre qu'au "débat d'idées".
La réponse de Valls et Hollande. François Hollande a assuré dimanche que "les réformes se poursuivront à un rythme encore accéléré jusqu'à la fin" du quinquennat après les vives critiques de Martine Aubry. "Les réformes, elles sont continues, elles ont été engagées dès les premiers mois de mon quinquennat, et elles se poursuivront à un rythme encore accéléré jusqu'à la fin, parce que la France a besoin de réformes", a déclaré le président de la République devant un parterre de patrons de grandes entreprises réunis à l'Elysée.
Manuel Valls a également réagi indirectement dimanche aux critiques de la maire de Lille, en assurant que l'on pouvait "compter" sur lui pour "avoir les nerfs solides". "Je sais qu'au sein de la gauche, le questionnement est permanent, le débat fait partie de notre ADN nous sommes capables de le pousser dans des extrémités incroyables : quelle est notre identité ? Quel doit être notre rapport au pouvoir, aux institutions ? Comment faire vivre notre différence ? Comment construire et faire fonctionner nos alliances ?", a-t-il déclaré lors d'un discours à Paris devant le Forum républicain du Parti radical de gauche.