La Légion d’honneur n’est pas réservée aux seuls Français. La décoration attribuée vendredi, en catimini, au prince héritier saoudien, Mohamed ben Nayef, par ailleurs ministre de l’Intérieur de son pays, est venu le rappeler. Douloureusement pour François Hollande, qui fait face depuis à une polémique, notamment parce que la peine de mort est largement appliquée en Arabie Saoudite. "Tradition diplomatique", a justifié Jean-Marc Ayrault lundi sur France Inter. Le ministre des Affaires étrangères met là en lumière une pratique en effet largement répandue dans les relations de la France avec d’autres pays.
"S’ils ont rendu des services à la France". Si les étrangers ne peuvent pas être membres de l’ordre de la Légion d’honneur, ils peuvent en recevoir la décoration. Les critères d’attribution sont relativement larges. Selon le site de la Grande chancellerie de la Légion d’honneur, "les étrangers peuvent être décorés de la Légion d’honneur s’ils ont rendu des services (culturels, économiques…) à la France ou encouragé des causes qu’elle défend (défense des droits de l’Homme, liberté de la presse, causes humanitaires…)".
A priori, le prince Mohamed ben Nayef coche la première case. "Nous sommes liés à l'Arabie Saoudite", a expliqué sur Europe 1 David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Institut de prospective et de sécurité en Europe, spécialiste du Moyen-Orient. "Le partenariat a même particulièrement été renforcé depuis la présidence de François Hollande. On l'a vu avec la crise syrienne et des intérêts économiques". En juin 2015, les deux pays signaient ainsi des échanges commerciaux d’une valeur de 10,3 milliards d’euros. Et dans la lutte contre Daech, la collaboration du royaume Saoudien est cruciale. Ceci explique sans doute cela.
Environ 400 étrangers décorés par an. Les personnalités étrangères peuvent aussi être décorées dans des occasions bien particulières. "Les visites d’Etat sont également l’occasion d’attributions de la Légion d’honneur aux personnalités officielles, faites au titre de la réciprocité diplomatique et soutenant ainsi la politique étrangère de la France", écrit la Grande chancellerie de la Légion d’honneur. Au total, selon France Info, environ 400 étrangers sont décorés chaque année.
Ce principe de "réciprocité diplomatique" profite d’ailleurs à François Hollande. Le président de la République est un cumulard en termes de décoration étrangère. Il est ainsi, pêle-mêle (et entre autres), chevalier de l'Ordre de l'Aigle blanc de Pologne, chevalier grand-croix au grand cordon de l'Ordre du Mérite de la République italienne, décoré de l’Ordre du Ouissam El Mohammad, classe exceptionnelle, au Maroc, grand-croix de l'Ordre national du Mali, chevalier grand-croix de l'Ordre du Lion néerlandais, chevalier grand-croix de l'Ordre du bain du Royaume-Uni, mais aussi décoré de l’ordre suprême du… Royaume d'Arabie Saoudite. Réciprocité, toujours…
Les polémiques, aussi une tradition. La polémique née de la décoration du prince héritier saoudien est alimentée principalement par le Front national. La droite, elle, est plutôt discrète sur le sujet. La raison est simple : le FN n’ayant jamais exercé le pouvoir au niveau national, il n’a pas eu à composer avec l’inévitable "realpolitik". La droite, elle, a eu son lot de polémique en la matière. La plus célèbre date de 2006. A l’époque, Jacques Chirac, président de la République, remet les insignes de grand-croix, le grade le plus élevé, de la Légion d’honneur à Vladimir Poutine, dans le plus grand secret. La presse française n’est pas conviée, mais le président russe a pris soin de convoquer ses caméramen. Les images voyagent rapidement depuis Moscou jusqu’en France, et le tollé suit. Quelques semaines plus tard, Jacques Chirac se justifie en mettant en avant… les relations économiques des deux pays. Les présidents se succèdent, mais la tradition diplomatique se perpétue.
Chirac décore Poutinepar JeanBleuzen