Emmanuel Macron continue de bouleverser les schémas classiques de la vie politique. Alors que le président a reçu le ralliement de nombreux socialistes durant sa campagne, c’est finalement un Républicain, Edouard Philippe, qu’il a choisi de nommer au poste de Premier ministre. De quoi créer des remous à tous les niveaux de l’échiquier politique. Le socialiste Benoît Hamon a dénoncé dans un communiqué "une coalition dirigée par un membre des Républicains". De son côté, Jean-Luc Mélenchon a condamné dans une vidéo "un attelage hasardeux", appelant à "une cohabitation nécessaire", portée au pouvoir par les électeurs de la France insoumise. En face, le député des Hauts-de-Seine Thierry Solère, issu de la même famille politique que le nouveau chef de gouvernement, a voulu rappeler sur Europe 1 l’ouverture pratiquée par Nicolas Sarkozy en 2007, allant même jusqu’à évoquer l’idée d’un gouvernement d’union nationale. "C’est déjà le cas", assure-t-il.
Ouverture, cohabitation, coalition… Europe 1 fait le point sur ces différents cas de figures que semblent mettre à mal le nouveau duo à la tête de l’exécutif.
Ni ouverture. L’ouverture est une main tendue, avec bonne volonté ou sous la contrainte, à un adversaire. "Le cas typique d’un gouvernement d’ouverture est celui de Michel Rocard, en 1988, où, ne disposant que d’une majorité relative au Parlement, le Premier ministre ouvre les portes à des membres de l’UDF, alors considérés dans l’opposition", rappelle auprès d’Europe 1 Pascal Jan, professeur de droit constitutionnel à Science Po Bordeaux.
En 2007, Nicolas Sarkozy, sans nécessité politique, choisit de renouveler ce cas de figure en invitant au gouvernement certaines personnalités issues de la gauche, comme Bernard Kouchner. Mais l’ouverture suppose que le Premier ministre soit du même camp que le président, ce qui, formellement, n’est pas le cas d’Edouard Philippe avec Emmanuel Macron, précise le constitutionnaliste. Lundi soir, sur le plateau de TF1, le nouveau chef de gouvernement a lui-même réfuté l’idée d’un gouvernement d’ouverture, assurant que le président voulait s’inscrire "non pas du tout dans une logique d’ouverture, mais dans une logique de recomposition de la vie politique".
Ni cohabitation. La cohabitation désigne la coexistence à la tête de l’Etat d’un président de la République et d’un chef de gouvernement issu d’une tendance politique opposée, mais qui a obtenu le plus grand nombre de sièges aux élections législatives. "La nomination d’un Premier ministre issu de la majorité n’est pas une obligation légale mais une obligation politique", précise Pascal Jan. "Nommer un chef de gouvernement qui ne soit pas reconnu par la majorité des députés, c’est en effet s’exposer à une motion de censure et rendre impossible l’application d’un programme législatif".
La Cinquième République a connu trois cohabitations, deux sous la présidence de François Mitterrand : en 1986-1988 avec Jacques Chirac puis en 1993-1995 avec Edouard Balladur, et une dernière durant le premier mandat de Jacques Chirac, en 1997-2002, avec Lionel Jospin. L’inversion du calendrier électoral en 2000, plaçant les législatives dans la foulée des présidentielles, doit permettre au parti du chef de l’Etat de profiter de la dynamique de l’élection présidentielle, et donc de limiter le risque de cohabitation. Mais dans le cas d’Emmanuel Macron, rien ne garantit le bon déroulement de ce scénario. Face à la menace frontiste, le président élu a bénéficié d’un très important report de voix : 59 % de ses électeurs ont voté pour lui au second tour par rejet de Marine Le Pen, selon une enquête Harris Interactive. Surtout, son parti, En Marche!, fondé il y a un peu plus d’un an seulement, doit faire face à une droite sortie en tête des urnes dans toutes les élections intermédiaires depuis les municipales de 2014.
En nommant Edouard Philippe, maire LR du Havre, Emmanuel Macron a-t-il choisi de plein gré une forme de cohabitation ? Le positionnement idéologique du nouveau président de la République, issu des rangs de la gauche mais qui a affiché durant la campagne une volonté de dépasser les clivages traditionnels, complique la réponse. "Dans tous les cas, pour pouvoir véritablement parler de cohabitation, il faudrait que les législatives portent à l’Assemblée une majorité LR qui reconnaisse l’autorité d’une autre personnalité que celle d’Edouard Philippe", tranche Pascal Jan. François Baroin, par exemple.
Ni coalition. La coalition est une entente entre au moins deux partis, qui peuvent être traditionnellement opposés, afin de poursuivre un but commun. Une coalition gouvernementale peut s’imposer lorsqu’aucune majorité ne sort des urnes, obligeant le président de la République à réunir des ministres d’horizons divers pour tenter d’obtenir un consensus sur certains textes. "La coalition gouvernementale signifie qu’un accord de gouvernement a été passé entre le parti du président et au moins un parti d’opposition. Ce qui n’est pas le cas avec LR", souligne Pascal Jan. En effet, la nomination d’Edouard Philippe s’est faite sans l’assentiment préalable des Républicains, ce qui n’a pas manqué de semer le trouble.
"Finalement, Emmanuel Macron amène une situation exécutive d’un type tout à fait nouveau", analyse Pascal Jan. "Il ne propose pas un gouvernement d’union nationale, où l’on va chercher des collaborateurs assez loin à gauche et à droite, mais plutôt ce que l’on pourrait qualifier de gouvernement d’urgence nationale" ; le président déroule un programme auquel il agrège tous ceux qui souhaitent y participer dans la sphère des progressistes de gauche et de droite. "Mais, combien de temps cela peut-il tenir ?", interroge encore le constitutionnaliste.