Il est donc "trop tard" pour lui. Alain Juppé a renoncé lundi matin à devenir le recours éventuel de François Fillon si celui-ci avait décidé de jeter l’éponge dans la course à la présidentielle. Estimant qu’il n’incarne pas le "renouvellement que veulent les Français", il a jugé impossible un retour en sauveur d’une droite minée par les rebondissements de l’affaire Fillon. Entre les lignes, le maire de Bordeaux a livré les raisons qui l’ont poussé à refuser ce dernier combat sur la scène nationale.
Obstination de François Fillon. Tout s’est joué dimanche. En début de journée, les proches d’Alain Juppé jugent possible que leur champion s’impose progressivement comme LA solution pour mettre François Fillon hors-jeu. Ce dernier tient son rassemblement de la dernière chance au Trocadéro, l’après-midi. Son entourage confirme au Monde qu’il ne compte pas renoncer sur le plateau du 20 Heures, le soir-même. Premier coup d’arrêt pour le camp Juppé.
Alors que son camp prépare sa sortie, Fillon n'aurait "absolument pas" l'intention d'annoncer son retrait ce soir, selon son entourage (1/2)
— Alexandre Lemarié (@AlexLemarie) 5 mars 2017
La mobilisation de l’après-midi, sans atteindre les 200.000 personnes annoncées par les proches de François Fillon, remplit son objectif : montrer des dizaines de milliers de militants à fond derrière leur candidat. Quand François Fillon répète sur le plateau de France 2 que "personne aujourd’hui ne peut [l]’empêcher d’être candidat", Alain Juppé comprend que la messe est dite. Il annonce dans la foulée qu’il s’exprimera à 10h30, lundi, depuis sa ville de Bordeaux.
Rassemblement impossible. La ferveur des soutiens de François Fillon marque Alain Juppé. "Comme l’a montré, hier [dimanche, NDLR], la manifestation au Trocadéro, le noyau des militants LR s’est radicalisé", constate-t-il lundi avant d’annoncer qu’il n’est pas en mesure de conduire le rassemblement à droite. "Il a senti que le noyau dur des fillonistes n’abandonnerait jamais", abonde à Europe1.fr Philippe Gosselin, soutien du Bordelais lors de la primaire. "Une partie du centre, que certains d’entre nous ont rudement stigmatisée, nous a quittés", a également regretté Alain Juppé lundi, lui qui était partisan d’un dialogue avec le MoDem et l’UDI. Dans ces conditions, difficile de rassembler largement.
Le blocage du camp Sarkozy. Un autre obstacle s’est dressé sur la route d’Alain Juppé pendant cette énième séquence du "plan B" à droite. À l’image des autres crises survenues depuis un mois et demi, toutes les composantes des Républicains ne se sont pas retrouvées sur le nom du candidat remplaçant. En clair, les sarkozystes "ont freiné des quatre fers" dixit Philippe Gosselin, qui estime que "leur non-soutien a sûrement été un élément très important" dans le choix d’Alain Juppé de renoncer, pour la quatrième fois, à remplacer son tombeur. "Nicolas Sarkozy préfère perdre avec François Fillon que gagner avec Alain Juppé, c’est irresponsable", peste un juppéiste dans Le Monde de mardi. Même s’ils se sont parlé plusieurs fois la semaine dernière, aucune solution n’a été trouvée. Résultat : Alain Juppé a "réfléchi" et "hésité" à revenir dans l’arène, mais sans le soutien de Nicolas Sarkozy, c’était non.
"Vie de souffrance". Quant aux projets de l’un et de l’autre, auraient-il pu se marier pour n’en former qu’un à six semaines du premier tour ? "Le programme de François Fillon aujourd’hui est loin de celui qu’il avait lors de la primaire. Alain Juppé aurait poli son projet" pour arriver à une synthèse, regrette Philippe Gosselin. De là à contenter ses anciens adversaires pendant la primaire, l’écart était peut-être trop grand. "Je remercie ceux qui, après avoir vivement critiqué ma ligne et mon projet, trouvent aujourd’hui en moi le recours qu'ils recherchent", lâche-t-il, amer, lundi matin, conscient de ne pas avoir incarné les positions plébiscitées à droite.
Mais l’explication est peut-être à chercher avant tout du côté personnel. Lui qui a mal vécu le fait de mener la course dans les sondages avant d’être sèchement battu à la primaire le racontait peu de temps après le scrutin à un parlementaire cité par Le Figaro : "Je n'ai eu qu'une vie de souffrance. Tout ce que j'ai fait en politique s'est mal fini." L’aspect familial semble aussi avoir compté : pointant l’exigence d’exemplarité des responsables politiques, il a rappelé qu’il avait été condamné en 2004 ("sans enrichissement personnel", précise-t-il) et qu’il ne voulait pas "livrer [son] honneur et la paix de [sa] famille en pâture aux démolisseurs de réputation". La perspective d’un dernier combat rendu extrêmement difficile sur tous les plans l’a encouragé dans son choix de remiser les gants aux vestiaires. "Une bonne fois pour toutes", comme il l’a déclaré lundi, pour l’une de ses dernières apparitions d’importance sur le ring national.