Quarante ans de plans banlieues

Une tour détruite en décembre 2005 à Aulnay-sous-Bois, dans le cadre de l'ANRU.
Une tour détruite en décembre 2005 à Aulnay-sous-Bois, dans le cadre de l'ANRU. © AFP
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Ophélie Gobinet avec AFP , modifié à
En quatre décennies, plus d’une dizaine de plans banlieues se sont succédé. Le projet remis le 26 avril par Jean-Louis Borloo au Premier ministre est présenté comme celui "de la dernière chance".

Depuis quarante ans de politique de la Ville, les plans banlieues se succèdent. Celui remis le 26 avril dernier par Jean-Louis Borloo au Premier ministre Édouard Philippe est le 14 ème depuis 1977. Prônant une "réconciliation nationale", le plan de l’ex-ministre à l’origine du programme de rénovation urbaine en 2003 n’a pas encore obtenu l’engagement du gouvernement.

Vendredi, Emmanuel Macron avait indiqué qu’il attendrait le 22 mai pour annoncer des mesures concrètes afin d’améliorer la vie dans les quartiers dits "difficiles", mais sans pour autant annoncer un grand plan pour les banlieues. "L'enjeu n'est pas de réinventer de grands dispositifs", a insisté la présidence. Retour sur quatre décennies de plans successifs avec lesquels les pouvoirs publics ont tenté de répondre aux difficultés des banlieues et des quartiers déshérités.

Les Grands ensembles et le tournant des années 1980

En 1977, le président Valéry Giscard d’Estaing lance un programme "Habitat et vie sociale", axé sur la réhabilitation d’une cinquantaine de grands ensembles dégradés. La question sociale est encore peu prise en compte, les années 1950, 1960 et 1970 étant surtout marquées par des débats portant sur les "problèmes urbains" liés à la construction massive de grands ensembles dans l’après-guerre.

C’est au début des années 1980 que le tournant s’opère, rappelle le sociologue Cyprien Avenel dans La construction du ‘problème des banlieues’, entre ségrégation et stigmatisation (ERES, 2009). En 1981, dans le quartier des Minguettes à Vénissieux, dans le Rhône, des jeunes mettent en scène des voitures volées auxquelles ils mettent le feu. Les banlieues deviennent dès lors un sujet médiatique. L’arrivée de la gauche au pouvoir la même année marque une autre étape avec le lancement d’une politique de Développement social des quartiers (DSQ) et créations de Zones d’éducation prioritaires (ZEP) contre l’échec scolaire.

En 1983, alors qu’une Marche pour l’égalité et contre le racisme (surnommée "marche des Beurs") part de Marseille, un plan "Banlieues 89" vise à désenclaver et rénover des cités HLM. Dès lors, le sujet des "banlieues" sera évoqué de façon récurrente dans le débat public, cristallisant les problématiques de chômage, de délinquance, d’échec scolaire, de ghettoïsation, d’économie parallèle ou d’immigration. En 1988, Michel Rocard, alors Premier ministre, crée le Conseil national des villes et le Comité interministériel des villes.

Un "Plan Marshall" des banlieues

En 1990, après des troubles à Vaulx-en-Velin, dans le Rhône, un ministère de la Ville et du Droit au logement confié à Michel Delebarre voit le jour. L'année suivante, la loi    d'orientation pour la Ville définit des cibles prioritaires via les Zones urbaines sensibles (ZUS) et entend imposer 20% de logements sociaux dans les agglomérations de 200.000 habitants. Les décrets tardent à sortir et nombre de maires de communes riches n'obtempèrent pas. En 2016, 615 communes étaient encore hors-la-loi en matière de logements sociaux, indique Le Huff Post.                            

En 1992, Bernard Tapie, ministre de la Ville, lance des grands projets urbains pour une dizaine de cités. L'année suivante, un plan d'urgence du gouvernement Balladur débloque 5 milliards de francs, puis 10 milliards sur quatre ans (environ 1,5 milliard d'euros). En 1995, Jacques Chirac dénonce la "fracture sociale" et annonce un "plan Marshall" pour les banlieues. Cette même année, la banlieue s’invite au cinéma avec La Haine de Mathieu Kassovitz, qui reçoit le prix de la mise en scène à Cannes et qui contribue à mettre en lumière cette problématique.

En 1996, le plan Marshall devient le "Pacte de relance pour la ville" avec des zones franches destinées à favoriser l'implantation d'entreprises.Mais cela ne convainc toujours pas et entre mesures de rénovation et annonce politiques, les plans banlieues s’invitent jusque dans les textes de rap qui feront dire aux Marseillais d’IAM : "Les élus ressassent rénovation ça rassure / Mais c’est toujours la même merde derrière la dernière couche de peinture" (Demain c’est loin, 1997), traduisant le désenchantement et le fatalisme d'une part de la jeunesse. 

Rénovation urbaine

En 1999, période de cohabitation, le Premier ministre Lionel Jospin présente un plan "de rénovation urbaine et de solidarité" de 3 milliards d'euros sur six ans, destiné à 250 zones signataires d'un contrat avec l'État permettant de réaliser des projets urbains. L'année suivante, la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) taxe les communes qui n'ont pas 20% de logements sociaux et en 2001, le gouvernement annonce un nouveau plan de 5,34 milliards d'euros sur 5 ans pour les quartiers difficiles.

En 2003, un Plan national pour la rénovation urbaine (PNRU) lancé par le ministre délégué à la Ville Jean-Louis Borloo vise la démolition, la construction ou la réhabilitation de 600.000 logements sociaux en 5 ans, pour 30 milliards d'euros. L'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) investira en fait 47 milliards d'euros. 

Action cœur de ville

En 2006, la Loi pour l'égalité des chances, destinée à répondre aux émeutes urbaines de l'automne 2005, se concentre sur l'emploi et l'éducation et prévoit la création d'un Contrat première embauche (CPE), finalement abandonné sous la pression de la rue. Le CV anonyme, également envisagé, ne sera jamais mis en œuvre.

En 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la secrétaire d'État Fadela Amara présente un "Plan espoir banlieue" aux moyens limités (1 milliard d'euros) axé sur 215 quartiers. En 2014, sous l'impulsion du ministre délégué à la Ville François Lamy, une loi crée des conseils citoyens consultés pour élaborer et mettre en œuvre les Contrats de ville. On en comptait plus de 1.150 en 2017. En 2015, les ZUS sont remplacées par des Quartiers prioritaires de la politique de Ville (QPV).

Macron et "la reconquête culturelle" des quartiers

Dès le début de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron a voulu marquer de son  empreinte la thématique des banlieues. C’est de Bobigny, en novembre 2016, qu’il avait annoncé sa candidature à la présidentielle. C’est aux Mureaux, dans les Yvelines, qu’il avait dévoilé une partie de son programme. Le tout, pour ne pas cultiver une déconnexion totale des politiques avec la banlieue. Six mois après son discours à Tourcoing sur la politique de la Ville, un plan de revitalisation des centre-villes doté de 5 milliards d'euros sur 5 ans et baptisé "Action cœur de ville" cible 222 villes moyennes via des aides à l'implantation commerciale.

Avec les 19 programmes pour faire "revenir la République dans les quartiers" du plan Borloo, l'exécutif est très attendu sur ce sujet. "Le gouvernement n'a pas attendu le rapport Borloo pour agir. De nombreuses actions qu'il propose sont en train d'être mises en oeuvre", souligne l'Élysée. Mardi en début de matinée, Emmanuel Macron réunira pour la première fois autour de lui le "conseil présidentiel des villes", composé de 25 personnes, notamment issues des quartiers.