Régionales 2015 : que va changer la victoire des nationalistes en Corse ?

nationalistes corses Marie Antoinette Maupertuis, Jean Guy Talamoni, Jean Christophe Angelini et Gilles Simeoni Corse régionale
De gauche à droite : les nationalistes corses Marie Antoinette Maupertuis, Jean Guy Talamoni, Jean Christophe Angelini et Gilles Simeoni. © PASCAL POCHARD CASABIANCA / AFP
  • Copié
, modifié à
La liste "Per a Corsica" (Pour la Corse) l'a nettement emporté dimanche, au second tour des régionales. 

Il n'y avait pas deux mais trois couleurs, dimanche, sur les cartes présentant les résultats du second tour des régionales : du bleu pour représenter les régions conquises par la droite, du rose pour celles conservées par le PS... Et du jaune, du gris ou du vert, selon les médias, en bas à droite, recouvrant la Corse, pour représenter les nationalistes corses. Ces derniers ont en effet, pour la première fois de l'histoire de l'île, remporté les élections territoriales dimanche.

La liste "Per a Corsica" (Pour la Corse) l'a nettement emporté avec 35,34% des voix, devant la liste Divers gauche du président sortant Paul Giacobbi (28,49%), la liste LR-UDI (27,07%) et le Front national (9,09%). Le maire nationaliste de Bastia, Gilles Simeoni, prendra donc jeudi la présidence du Conseil exécutif (le gouvernement de la Collectivité territoriale de Corse), chargé de mettre en œuvre les mesures votées par l'Assemblée corse. Assemblée qui sera, elle, présidée par l'indépendantiste Jean-Guy Talamoni.

>> Cette reconfiguration historique du paysage politique corse va-t-elle vraiment changer quelque chose ? Décryptage.

Qu'est-ce qu'une liste "nationaliste" ? La liste "Per a Corsica" est une fusion du second tour entre la liste des autonomistes, ou "nationalistes d'ouverture", menés par le maire de Bastia Gilles Simeoni, et les indépendantistes conduits par Jean-Guy Talamoni.

Les premiers prônent une Corse plus autonome - mais pas indépendante - et mettent l'accent sur la défense de ce qui fait selon eux la "nation corse" : son patrimoine, sa culture et sa langue. Figure du nationalisme, Gilles Simeoni fut d'ailleurs l'avocat d'Yvan Colonna, condamné à perpétuité pour le meurtre du préfet Erignac (qu'il a toujours nié). Il est également le fils d'Edmond Simeoni, fondateur de l’Action régionaliste corse, et condamné à cinq ans de prison en 1975, pour une prise d'otage dans une cave viticole à Aleria. Gilles Simeoni représente, pour sa part, la version "modérée" des régionalistes : juriste, docteur en sciences politiques, partisan du dialogue et du consensus, il est en effet un fervent opposant à la violence et aux militants armés du nationalisme.

Les indépendantistes de Jean-Guy Talamoni, eux, sont considérés comme plus "radicaux". N'hésitant pas à appeler à la "désobéissance civile" envers le droit français, Jean-Guy Talamoni est jugé plus proche de mouvements nationalistes clandestins suspectés de violence. Le dépôt des armes des clandestins du Front de libération nationale de la Corse (FLNC), à l'été 2014, a d'ailleurs permis le rapprochement entre les deux listes au second tour.

>> Des scènes de liesse ont éclaté dimanche soir partout en Corse, comme ici à Bastia :

 

PASCAL POCHARD CASABIANCA / AFP

 

Quel est leur programme ? La fusion des deux listes a également été facilitée par un programme quasi-identique, qui se veut fédérateur. Simeoni et Talamoni se sont d'ailleurs tout deux employés à rassurer ceux qui craignaient une marche vers l'indépendance. "La Corse n'est pas entre les mains des nationalistes. Notre volonté (...) est de construire la nation corse avec l'ensemble des Corses, qui ne sont pas tous nationalistes", a déclaré Gilles Simeoni dimanche soir. "Le contrat de mandature à l'assemblée de Corse ne porte pas sur l'indépendance. Notre démarche s'adresse à l'ensemble des Corses qui savent que nos idées et nos propositions ont dominé la mandature écoulée", lui a emboîté le pas Jean-Guy Talamoni.

Concrètement, les deux hommes se sont mis d'accord sur un ensemble de mesures mettant l'accent sur la spécificité de la Corse. Ils veulent ainsi mettre en œuvre la co-officialité de la langue corse, l'instauration d'un statut de résident corse, avec des droits spécifiques pour enrayer la spéculation foncière et immobilière, la mise en place d'un statut fiscal spécifique ou prônent encore l'inscription d'une spécificité Corse dans la Constitution. Quant au projet économique, il "consiste à s’affranchir des aides du gouvernement pour se recentrer sur les atouts de la Corse. Ils veulent mettre rapidement en place un plan de sauvegarde pour aider les entreprises en difficulté et combattre toutes les formes de précarité", détaille le journal Les Echoslundi.

Le duo Simeoni-Talamoni vise encore à "maîtriser les transports, donner la priorité à l’agriculture, à la pêche et au tourisme de qualité, tendre vers l’autonomie énergétique et investir dans la recherche et l’innovation", poursuit le quotidien économique. Les deux nationalistes prônent enfin une "corsisation des emplois" : c’est-à-dire mettre en place une sorte de "préférence régionale" pour les postulants à un emploi sur l'Île.

De quel pouvoir vont-ils disposer ? Il ne sera pas si facile pour les nationalistes d'appliquer à la lettre leur programme. Avec 24 des 51 sièges de l'assemblée de Corse, ces derniers ne disposent que d'une majorité relative. Pour valider les grands projets, comme le budget par exemple, il faut une majorité de voix, ce qui oblige au consensus. Mais selon les spécialistes de l'île, ce consensus est atteignable. Car les idées nationalistes ont infusé dans l'île, depuis les dernières régionales en 2010 où ils avaient déjà fait une entrée en force avec 15 sièges (11 pour la liste Simeoni, 4 pour les indépendantistes). Cité par l'AFP, le journaliste et écrivain Jacques Renucci entrevoit déjà "une recomposition du paysage politique autour des nationalistes". Et le journaliste de détailler : "Des rapprochements seront facilités avec la banalisation du discours identitaire, comme on l'a vu avec la présence d'élus de gauche, comme de droite, invités ces dernières années aux journées indépendantistes de Corte. Le discours très pragmatique des nationalistes, notamment dans le domaine social et dans la lutte contre la précarité, a assis leur implantation dans la société."

PHILIPPE MOUCHE / AFP

Reste un hic : la majorité du programme avait déjà été voté sous l'ancienne majorité (divers gauche). La co-officialité de la langue corse, l'instauration d'un statut de résident corse ou encore la mise en place d'un statut fiscal spécifique ont en effet été votés par l'assemblée de Corse lors du mandat de Paul Giacobbi. Mais ces mesures relèvent de la compétence de l'Etat, et pas de la collectivité territoriale. Or, le gouvernement les avait rejetées, les jugeant contraire à la Constitution. Si l'arrivée des nationalistes mettra une pression supplémentaire sur l'Etat, ils n'ont pas la main pour mettre à bien leur programme. Le but du couple nationaliste : parvenir à des bases juridiques solides pour trouver l'oreille du gouvernement. "La nouvelle bataille à livrer prendra la forme d'un rapport de forces politique avec Paris", a résumé dimanche Jean-Guy Talamoni.

D'un point de vue économique, enfin, la collectivité territoriale corse dispose également de peu de marge de manœuvre. "Elle ne peut pas agir sur la fiscalité et la législation. Elle bénéficie, certes, d'un budget plus important que celui des régions continentales. Mais on ne transforme pas une société seulement à travers des marchés publics et des subventions", résume le politologue corse André Fazi, dans l'hebdomadaire local Settimana.

Un mandat qui ne durera que deux ans. Simeoni, Talamoni et leurs équipes vont devoir faire vite. Car leur mandat ne durera que deux ans. La Corse deviendra en effet le 1er janvier 2018 une collectivité unique, issue de la fusion de la collectivité territoriale et des conseils départementaux de Corse-du-Sud et de Haute-Corse. C'était, d'ailleurs, une revendication des nationalistes, validée par la loi NOTRe du 7 août 2015