Florent, 38 ans, a souffert de schizophrénie pendant son adolescence et au début de l'âge adulte. Après un internement et une longue période de reconstruction, il a publié en 2018 Obscure Clarté chez Laïus éditions, une description de la schizophrénie vue de l'intérieur. Il raconte à Olivier Delacroix, sur Europe 1, comment il a mis la maladie derrière lui, jusqu’à pouvoir devenir aide-soignant dans l'établissement même où il avait été hospitalisé.
"C'est arrivé à 13 ans, comme un flash qui vous foudroie l'esprit. C'est quelque chose que je ne souhaite à personne, ça arrive sans prévenir, sans signe avant-coureur. D'un coup il y a une voix qui s'immisce. On a l'impression qu'une entité prend le contrôle de notre cerveau pendant un certain laps de temps.
Dans un premier temps, la raison te dit que ce que tu crois entendre ou voir - parce que j'ai aussi eu des hallucinations visuelles -, n'est pas possible. Et puis, la folie arrive. On ne calcule plus rien. C'est comme être devant sa télévision et regarder un film, sauf que cette réalité parallèle, vous la vivez. Ce que la voix vous dit, vous ordonne devient votre réalité.
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Florent a longtemps caché ses symptômes, jusqu'à ce que les crises deviennent ingérables
J'ai mis dix ans avant de mettre des mots sur mes maux. Je me terrais dans ma chambre quand ça n'allait pas. Je disais que je jouais aux jeux vidéo. [...] On a cru que c'était une crise d'adolescence. Mes parents pensaient que j'étais turbulent, ils ont mis ça sur le compte de l'adolescence. [...] Quand mon livre est sorti, même mes plus proches amis n'étaient pas au courant.
De 13 ans à 24 ans je n'ai pas été soigné. J'avais des moments de crise, mais comme je revenais à des moments de normalité, je mettais ça derrière moi en me disant que je n'en referais plus. Mais à force d'avoir des bouffées délirantes, il y a une crise qui finit par être plus forte que les autres. À 24 ans, j'ai secoué très violemment mon papa lors d'un repas familial. Toute ma famille et ma copine de l'époque ont essayé de nous séparer, et c'est là que l'on s'est rendu compte que quelque chose ne tournait pas rond.
La schizophrénie, "une tempête neuro-biologique"
Les premiers symptômes de la schizophrénie se manifestent généralement pendant l'adolescence. À cette période le cerveau est en pleine maturation, et se trouve dans un moment de fragilité. Des bouleversements dans sa chimie peuvent avoir des conséquences importantes sur la perception du monde extérieur. "Le modèle le plus classique, pour expliquer que des hallucinations apparaissent, est de considérer que, dans certaines régions du cerveau, il y une tempête neuro-biologique", explique au micro d'Olivier Delacroix, sur Europe 1, le professeur Fabrice Berna, responsable du Centre expert schizophrénie de Strasbourg. "Une augmentation des secrétions de dopamine expliquent que des perceptions anormales et des distorsions apparaissent."
Après un passage en hôpital psychiatrique, Florent est passé de soigné à soignant
J'ai été pris en charge à partir de ce moment-là. J'ai accepté de voir le médecin mais je ne savais pas du tout ce qui m'attendait. Je ne savais pas que j'allais me retrouver en hôpital psychiatrique, et avoir des médicaments très lourds pour quelqu'un de sportif et d'hyperactif comme moi. Je dormais 20 heures par jour. Je l'ai très mal vécu. Après, les traitements ont diminué. J'ai retrouvé mes sensations et une vie normale, mais ça se compte en années.
La maladie a stoppé mes études de droit, mais j'étais auxiliaire de vie auprès de personnes handicapées pour payer mes études. Quand j'ai vu que je ne pouvais plus faire de droit parce que j'avais des difficultés à me concentrer, je me suis dit que je pouvais faire une évaluation en milieu de travail comme aide-soignant (ce dispositif permet à des demandeurs d'emploi d'évaluer leurs compétences lors d'une plongée en entreprise, notamment dans l'optique d'une reconversion, ndlr). […] J'ai voulu rendre ce qui m'avait été donné parce que j'ai eu, dans l'hôpital où j'étais, une super équipe soignante qui m'a beaucoup aidé. Lors de mes premières sorties dans le parc, un infirmier avait eu des mots très rassurants, m'avait dit que je pouvais m'en sortir. Je me suis dit que j'allais essayer de rendre ça.
Pendant mon internement, je me disais : c'est dingue, on a l'impression que personne ne s'en sort. À regarder certaines séries ou certains médias, on a l'impression que c'est une maladie sans issue. Je me suis dit, si tu arrives à t'en sortir, il faudra que tu arrives à donner ce message d'espoir."
Pas une fatalité
Pour le professeur Fabrice Berna, il est essentiel de tordre le cou aux nombreux préjugés qui entourent cette pathologie mentale. Il tient ainsi à rappeler que la schizophrénie n'est pas irréversible, ni incompatible avec une vie normale. "C'est une maladie qui se soigne, il est important de le préciser. Ce n'est pas une maladie chronique avec laquelle on évolue toute sa vie sans aucun traitement", insiste Fabrice Berna. Les médicaments sont plutôt efficaces en ce qui concerne les symptômes les plus bruyants, c'est-à-dire les hallucinations et les idées bizarres.
"Mais il y a d'autres types de symptômes, plus difficiles à soigner, qui nécessitent d'autres types de thérapeutique : des personnes qui se retirent de la société et qui ont du mal à se motiver, à organiser leur pensée pour mener une action à bien, qui se plaignent aussi de difficultés cognitives", signale notre spécialiste. "Ce pan se traite davantage par des approches de réhabilitation psycho-sociales", soit un accompagnement psychologique plus ou moins lourd et plus ou moins long selon les cas.
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