Sa création est passée inaperçue au cœur de l’été. Un méga fichier de renseignement baptisé ACCReD (automatisation de la consultation centralisée de renseignements de données) a vu le jour par décret le 3 août. Il doit permettre de "cribler" plusieurs centaines de milliers de personnes occupant un emploi considéré comme sensible. Enquête.
Jusqu’à présent, les enquêtes administratives, ces vérifications de passé et profil, concernaient essentiellement les employés des aéroports, des sites nucléaires ou chimiques et des casinos. Dans le contexte de lutte anti-terroriste, le ministère a étendu ce "criblage" à toutes les personnes intervenant sur les grands événements sportifs ou musicaux, depuis l’électricien en charge des installations en coulisses jusqu’au caissier de la buvette mais aussi à de très nombreux emplois dans le secteur des transports, publics ou privés. En tout, plusieurs centaines de milliers d’emplois sont concernés. Difficile de garder l’ancienne méthode, quasi-artisanale, de vérifications fichier après fichier. C’est la raison pour laquelle la place Beauvau a créé ACCReD ainsi que deux services au sein du ministère chargé de consulter ce guichet unique et de délivrer ou non les accréditations aux employeurs des personnes concernées.
Des donnés "très sensibles", susceptibles de concerner tout un chacun
Mais cette automatisation de la consultation de tous les fichiers de police est particulièrement sensible. Interrogée sur cette refonte sans précédent du système, la CNIL a émis plusieurs réserves dans sa délibération. Si elle reconnaît la légitimité de ce fichier, elle s’interroge sur sa proportionnalité. "Il y a un nombre très important de personnes concernées et des données très sensibles", explique à Europe 1 une source à la CNIL. En effet, les informations contenues dans cette dizaine de fichiers sont très variées : on peut figurer au TAJ (traitement des antécédents judiciaires), pour n’importe quelle affaire, conflit de voisinage ou procès, même si l’on a été mis hors de cause ensuite et même si l’on y figure en tant que victime.
De même, apparaissent au sein du fichier des personnes recherchées les personnes n’ayant pas payé leur pension alimentaire ou leurs impôts, ou encore celles qui ne se sont pas présentées pour un retrait de permis. La CNIL pose deux questions : Est-ce que vous représentez pour autant une menace ? Et est-ce que les agents du ministère de l’Intérieur auront le temps d’aller suffisamment dans le détail avant de trancher ? D’autant plus que "les fichiers de renseignement, eux, comportent des informations sur l’opinion politique et la religion, parfois basé sur des dénonciations de voisins".
Un risque d'amalgame dangereux pour les libertés publiques
"Quand je vois que les opinions philosophiques, religieuses, politiques seront collectées et qu’on fondera des décisions sur cette base-là, je suis inquiet", abonde Me Nicolas Gardères, avocat spécialiste des questions de libertés publiques. Et de redouter : "Peut-être que parfois, par paresse au fond, le fait qu’untel soit musulman suffira à ne pas accréditer cette personne parce que le contexte est celui du terrorisme islamique, et qu’on va préférer se passer des services d’un musulman simplement parce qu’il est musulman, comme une sorte de principe de précaution".
Les réserves de la CNIL ont été partiellement prises en compte par le gouvernement qui a finalement dressé une liste limitative des emplois qui permettent la consultation des fichiers de renseignement. Il s’est également engagé à faire des vérifications complémentaires sans préciser comment il allait s’y prendre.