Admission post-bac : une sélection qui n'a pas (encore) livré tous ses secrets

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Le ministère de l'Education nationale a communiqué il y a dix jours le code source du logiciel qui répartit les futurs étudiants. Mais… 

Il y a tout juste dix jours, le gouvernement a rendu publique une partie du "code source" de l'algorithme de la plateforme "Admission post-bac" (APB). C'est cette plateforme qui, depuis 2009, traite les vœux des lycéens soucieux de faire des études supérieures. En théorie, le logiciel présélectionne les élèves en fonction de leurs vœux, du nombre de places disponibles dans les établissements demandés, de leur lieu de résidence ou de leur dossier si c'est une filière sélective.

Le cadre réglementaireL'article L-612-3 du code de l'éducation interdit la sélection à l'université. Seules les Grandes écoles, les classes préparatoires, les IUT ou autres BTS peuvent demander à effectuer un tri des élèves en fonction de leur dossier scolaire. À l'université, un élève peut choisir la filière de son choix, à condition que l'université se trouve dans son lieu de résidence ou son lieu de passage de bac. En théorie, si l’élève met trois ou quatre vœux, même le vœu numéro 4 doit être pris en compte et l'université doit considérer l'élève comme candidat à l'inscription. Dans les filières où il y a trop de demandes par rapport aux places disponibles, dites en "tension", le rectorat a le droit de sélectionner en fonction des "préférences de l'élève, de son domicile et de sa situation familiale (s'il a des enfants, est marié etc.)". Et en dernier recours, il y a tirage au sort si la filière reste en tension malgré la prise en compte de ces critères.

Le hic ? Plusieurs anciens lycéens se sont plaints de ne pas comprendre pourquoi ils avaient été orientés vers telles ou telles facs, ou évincés de telle autre. Comment le logiciel départage-t-il les candidats dans les filières en tension ? Comment être sûr que les critères pris en compte par l’algorithme respectent la loi ? Fin 2012, un rapport d'évaluation de huit inspecteurs généraux de l'Éducation nationale avait même pointé du doigt le manque de lisibilité de ces critères. En 2016, l'association "Droits des lycéens" (voir encadré en fin d'article) fait le même constat. Dans un souci de transparence, cela fait un an qu'elle demande le "code source" du logiciel, pour tenter de le comprendre. Le ministère de l'Education a fini par leur transmettre. En version papier, et sans outil de décryptage.

>> Quels enseignements l'association a-t-elle pu tirer de ce code ? Que reste-t-il encore à apprendre ? Europe 1 a posé la question à Clément Baillon, son président et fondateur.

Avez-vous réussi à comprendre ce code source ?

"Dès la semaine dernière, nous avons mis en ligne un formulaire de contacts et nous avons un reçu une trentaine de mails de développeurs, qui nous ont aidés à comprendre ce logiciel. Premier enseignement : le ministère n'a pas transmis tout ce qui permet de comprendre le fonctionnement du logiciel. Il n'y a pas tout le code : il manque notamment les critères de présélection pour les filières dites 'sélectives'. Il nous manque aussi un dictionnaire des variables. Si l'on vous dit, par exemple, que l'on sélectionne un élève en fonction de sa couleur de cheveux, ça s'appelle une variable. Là, il y a des variables qui s'appellent "hack 1" ou "hack 2". Et on ne sait pas ce que ça veut dire.

" On peut s'interroger sur la volonté de transparence du ministère "

De manière générale, nos développeurs ont été étonnés par la piètre qualité de ce code source. Chaque année, on demande aux développeurs du ministère de rajouter une ligne de code sans effacer la précédente. Ont-ils voulu complexifier le code ? On peut s'interroger sur la volonté de transparence du ministère. Ce qui est sûr, c'est que sans dictionnaire des "variables", on ne peut faire que des suppositions sur le fonctionnement du logiciel APB, mais sans jamais être totalement sûr. Pour certaines choses, on est tout de même à peu près certains d'avoir compris. Mais ce sont des choses dont on se doutait déjà."

Lesquelles ?

"On a la confirmation, par exemple, que le logiciel privilégie les lycéens venant d'établissements français à l'étranger notamment. Lorsque ces derniers formulent un vœu pour être inscrits dans un établissement de l'enseignement supérieur, ils sont certains d'obtenir ce qu'ils souhaitent. Sur quelle base légale cela a-t-il été décidé ? On n'en sait rien. Le gouvernement a promis qu'il instaurerait des quotas pour limiter le nombre de lycéens venant de l'étranger dans un établissement. Mais ce n'est pas légal non plus…

>> Le fameux code source : 

Une autre "variable" que nos développeurs ont soulevée – sans en être totalement sûrs, puisqu'il n'y a pas de dictionnaire – semble indiquer que le logiciel accorde beaucoup d'importance à l'endroit où le lycéen passe le bac. En fonction de son centre d'examen, il peut être réparti dans telle ou telle université. Or, ce n'est pas sans poser quelques problèmes : quelqu'un qui habite à Nanterre, par exemple, peut avoir passé son bac à Versailles. Le logiciel aurait donc tendance à l'orienter vers une université à Versailles, alors qu'il habite plus près de celles de Paris ! C'est déjà arrivé. Là encore, ce n'est pas très légal. La loi indique que l'élève doit avoir le choix. S'il ne mentionne qu'une matière dans ses vœux ("Histoire", "Médecine" etc.) sans mentionner de fac précise, pourquoi ne pas l'orienter en priorité vers la fac la plus proche de chez lui ?".

 

>> Où trouver les commentaires du code source ? Pour connaître les commentaires des développeurs qui ont aidés l’association, celle-ci met à disposition un Google doc mis en ligne sur son site. Il est réactualisé au fur-et-à mesure que les contributeurs avancent. Un blogueur du journal Le Monde s'est également lancé dans une analyse. Il a notamment soulevé, la semaine dernière, un élément troublant : le code source d'APB indique que le logiciel accorde un traitement "différent" (sans que l'on sache de quelle manière) aux "réorientés", ces personnes qui changent de cursus en cours d'année. 

La loi est-elle suffisamment claire, selon vous ? 

"Elle reste floue. Lorsqu'on parle de "préférence de l'élève" prise en compte pour les filières en tension, parle-t-on d'une préférence de matière (médecine, psycho, Histoire…) ? D'une préférence d'université ? De ville ? La loi indiquait que tout cela devait être précisé par décret. Or, cela n'a jamais été fait.

" Il y a vraiment un manque d'information "

Résultat : dans le code source du logiciel APB, on voit clairement que c'est le classement des vœux d'université qui est pris en compte. En clair, si un lycéen met en "vœux 1" une prépa, en ""vœux 2" une autre prépa et en "vœux 3" une filière en tension dans une fac, le logiciel risque de ne même pas envoyer la demande d'inscription pour le "vœu 3" à la fac. Et ça, au moment où il remplit ses vœux, le lycéen n'est pas forcément au courant. Il y a vraiment un manque d'information."

Qu'attendez-vous du gouvernement maintenant ?

"Il reste encore la moitié des "variables" présents dans le code source à découvrir. Et les autres restent à confirmer avec certitude. Le gouvernement a promis de nous aider vers plus de transparence. Ils ont déjà publié un guide pour nous aider à comprendre le fonctionnement du logiciel. Mais toutes les ambiguïtés ne sont pas levées. On verra. On va également faire une demande pour avoir le code source de la version du logiciel pour 2017. Mais celui de 2016, on a mis un an à l'avoir. Et ils nous l'on envoyé en version papier, sans dictionnaire des variables… Il n'est donc pas sûr du tout que l'on arrive à comprendre le fonctionnement du logiciel avant les prochaines admissions à la fac !

Nous demandons également à connaître davantage les critères de sélection des filières dites 'sélectives', qui choisissent des étudiants sur dossier, en fonction de leurs notes obtenues au lycée. Nous avons déposé une plainte auprès de la CNIL, car nous soupçonnons certaines filières de prendre en compte des critères de sexe ou d'origine nationale.

De manière générale, les lycéens manquent d'information et de transparence. Et cela ne s'arrange pas avec le logiciel APB. Pour que le logiciel APB considère une filière comme sélective, il suffit au responsable de la filière de cocher une case. Et cela donne lieu à des abus.

Prenez les double-filières par exemple (Droit-Eco, Psycho-socio…) : certaines universités s'arrogent le droit de faire des sélections sur dossier pour ces doubles filières. Du coup, le logiciel APB ne leur transmet que des listes de lycéens qui ont des bonnes notes. Et comme c'est le logiciel qui présélectionne les élèves, l'université ne se sent pas obligée d'envoyer un courrier pour justifier sa décision et informer l'élève qu'il peut faire un recours. Or, dans ce genre de cas, le lycéen peut faire un recours et la plupart du temps, le rectorat lui donne raison. Car les universités n'ont pas le droit de faire de la sélection sur dossier. Nous, on ne se prononce pas 'pour' ou 'contre' la sélection à l'entrée de l'université. Mais on milite pour que les lycéens soient clairement informés de leur droit."

 

Qu'est-ce que l'association Droits des lycéens ? Fondée en avril 2015, "Droits des lycéens" est la seule association qui s'occupe exclusivement de l'information des lycéens concernant leurs droits. Fondée au départ par des amis de la région parisienne, elle compte désormais 150 membres partout en France et dans les lycées français à l'étranger. "Lorsque j'étais en 4e, un élève a été exclu du collège car une prof l'accusait de l'avoir frappée. J'étais témoin de la scène et cela ne s'est pas du tout passé comme l'enseignante l'a raconté. Seulement, on nous a interdit de contredire l'enseignante. Ça m'a donné envie de créer cette association. J'ai attendu d'être en 1ère, et je me suis lancé", raconte Clément Baillon, aujourd'hui en première année de Sciences Po Paris.

Cet été, les membres de l'association ont passé leur temps à répondre aux interrogations des futurs étudiants au sujet du logiciel APB. "J'ai du passer 40h au téléphone. Durant le Bac, j'allais passer l'examen le matin et j'étais au téléphone l'après-midi", raconte celui qui se destine à des études de Droit public. "Maintenant, les lycéens continuent de nous appeler. Surtout sur des questions autour de la discipline. Nous n'étions pas du tout dans des familles de juristes, ni de militants. On s'est acheté des manuels de droit administratif et on s'est formé sur le tas. Maintenant, tout le monde sait ce qu'est un recours en excès de pouvoir !"