Elles se murent dans le silence. Depuis la première plainte déposée fin octobre contre Tariq Ramadan pour "viol, agression sexuelle, violences et menaces de mort", seule une autre femme a osé se tourner vers la justice. D’après les informations d’Europe 1, les enquêteurs de la police judiciaire parisienne se rendent jeudi à la frontière suisse pour entendre une ancienne maîtresse de l'islamologue. Elle n'a pas l'intention de porter plainte mais aurait des révélations à faire sur les méthodes et agissements du suspect. Plusieurs femmes qui se disent victimes ont contacté des avocats, mais sans passer le cap du dépôt de plainte. Car outre les difficultés souvent rencontrées par toutes les femmes victimes de violences sexuelles, les victimes présumées de Tariq Ramadan ont en commun de l’avoir connu alors qu'elles étaient en état de faiblesse. Certaines sont encore aujourd’hui dans une grande détresse sociale ou psychologique.
Un sentiment de culpabilité. De plus, ces femmes sont des musulmanes souvent pratiquantes, sur qui pèse le poids de la religion et de la morale comme l’explique auprès d'Europe 1 la militante antiraciste et féministe Ndella Paye :"La religion c’est extrêmement moralisateur, les relations sexuelles doivent se passer dans le cadre d'un mariage, donc même si on est violée, on questionne toujours sa part de responsabilité. C'est-à-dire : 'toi, femme, qu'est-ce que tu as fait, pourquoi tu as répondu à un appel dans une chambre d'hôtel, il ne fallait pas y aller'. Personne ne critique l'homme en question, on ne le condamne pas d'avoir pris la peine d'inviter des femmes seules. Elles ont peur par rapport à ça".
Le regard de leurs proches. Certaines de ces femmes ont refait leur vie et redoutent également la réaction de leur mari, quand d’autres sont freinées par leur famille. Mais au-delà du cercle des intimes, il y a également la pression de la communauté musulmane toute entière : Tariq Ramadan est devenu une figure quasi iconique, seul musulman né en Europe à avoir une telle aura. Petit à petit, l'islamologue a réussi à ancrer cette idée que si l'on l’attaque à lui, on attaque directement l’Islam. Un ressenti qui touche aussi des milieux très éduqués. "Dans des conversations à titre personnelles j'ai entendu des phrases du type : 'il faut laver son linge sale en famille'. Prendre la parole, ça voudrait dire, non pas se désolidariser, mais carrément trahir une communauté, dans le sens où cette parole donnerait du grain à moudre à des personnes islamophobes et ça rejaillirait d'une manière négative sur toute la communauté à laquelle ces femmes appartiennent, et qu'elles ressentent comme étant déjà suffisamment marginalisée", explique Fatima Khemilat, chercheuse à Sciences Po Aix.
Des menaces en série. Enfin, il y a aussi la pression directe que Tariq Ramadan exercerait encore sur les femmes qui voudraient témoigner à son sujet, d’anciennes maîtresses avec qui il aurait entretenu des relations consenties mais qui voudraient aujourd’hui parler de l’emprise qu’il avait sur elles. D’après un collectif d’avocats qui accompagne plusieurs d’entre elles, ce sont des menaces quasi quotidiennes. "Ce sont des SMS et des mails à l'identique : 'de toute façon, je ferai tout pour te pourrir, je ferai tout pour donner une mauvaise image de toi, et ça ne sert à rien de s'attaquer à moi, j'ai des avocats et surtout des moyens. Je mettrai tous les moyens pour vous décrédibiliser auprès de l'opinion public et de vos familles parce que vous voulez me salir'", détaille maître Calvin Job, qui décrit un système particulièrement bien rodé.
"Monsieur Ramadan et ses partisans vont jusqu'à usurper l'identité d'avocats pour envoyer des pseudos plaintes à ses victimes afin de les dissuader. Ces menaces arrivent à les affecter", révèle encore le juriste. D’après lui, des envois ont encore eu lieu ces tout derniers jours malgré les dénonciations dont Tariq Ramadan fait déjà l’objet. Les autres femmes qui se disent victimes pourraient attendre de voir si les premières plaintes sont prises au sérieux avant de sauter le pas.