Pourquoi cet internaute et pas un autre ? C'est un peu la question qui se pose après les poursuites engagées contre un Strasbourgeois pour apologie de terrorisme sur Internet. Peu après les attentats contre Charlie Hebdo, cet habitant du Neuhof a publié sur Facebook une photo sur laquelle on voyait une kalachnikov et une lettre manuscrite où était inscrit : "Bons baisers de Syrie. Bye bye Charlie." Dans les jours suivant la tuerie à Charlie Hebdo, près de 4.000 messages faisant l'apologie des attentats ont été recensés sur les réseaux sociaux, selon un chiffre communiqué par le ministère de l’Intérieur aux préfets. Mais tous n’ont pas fait l’objet de poursuites. Explications.
>> Mis à jour mardi 27 janvier - Le prévenu, marié et père de deux enfants a été reconnu coupable du délit d'"apologie publique d'un acte de terrorisme commise au moyen d'un service de communication". Il a été condamné à une peine aménageable de six mois ferme sans maintien en détention.
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Poursuivi car son poste est public ? Le fait qu’un poste Facebook soit privé ou public n’interfère pas dans la possibilité d’engager, ou non, des poursuites. “A la différence des poursuites en diffamation et en injure - où les messages doivent être publics - les poursuites pour apologie du terrorisme ne prennent pas en compte l’aspect public ou privé du message publié sur Internet. Ce n’est pas un critère posé par l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse”, explique Me Anthony Bem, avocat spécialiste des contentieux de l'Internet.
La notion de message privé, précisée dans un arrêt de la Cour de cassation faisant désormais jurisprudence, est d’ailleurs très restrictive. Elle concerne en effet les messages publiés sur Facebook par des usagers ayant un nombre d’amis très peu élevé, “soit 20-30 personnes”, détaille Me Anthony Bem. En ce sens, la majorité des profils publiés sur Facebook peuvent donc faire l’objet de poursuites.
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Comment le signalement est possible ? Mais encore faut-il qu’ils soient signalés. Dans ce cas, plusieurs scénarios sont possibles. D’abord, la personne peut-être dénoncée par un de ses "amis" Facebook. C’est d’ailleurs ce qu’il semble s’être produit avec le père de famille strasbourgeois.
Récemment, le compte Twitter de la Police nationale a d’ailleurs publié un lien pour guider les internautes souhaitant dénoncer un contenu litigieux. Une fois le signalement reçu, les policiers examinent le profil de l’individu et décident de le poursuivre, ou non. Dans le cas du jeune strasbourgeois, étant connu de la justice pour des faits de droit commun, il a rapidement été interpellé et présenté à un magistrat, rapporte Les Dernières Nouvelles d'Alsace.
[Comptes malveillants] Pr SIGNALER sans partager/RT/liker/mentionner, ayez le réflexe #PHAROShttps://t.co/aQFt7z7FBYpic.twitter.com/2vaHPY4tiK— Police Nationale (@PNationale) 10 Janvier 2015
Si le message litigieux est accessible à tous, c’est-à-dire publié sans restriction de confidentialité, une association ayant eu accès au texte peut alors engager des poursuites à l’encontre de son auteur et se constituer partie civile. Facebook peut également signaler les contenus haineux directement à la police. Mais bien souvent, les utilisateurs sont plus réactifs que les modérateurs du réseau social.
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Vers une plus grande implication des procureurs ? Autre cas de figure : les procureurs peuvent engager des poursuites contre ces messages tombant sous le coup de la loi. “Il serait possible d'engager des poursuites contre les 4.000 auteurs des messages faisant l’apologie du terrorisme. Mais il faut qu’il y ait une volonté politique derrière. Ça pourrait être le rôle du parquet de poursuivre, même s’il n’y a pas de plaintes des victimes. Les associations n’ont, ni les moyens, ni le temps, d’engager des poursuites contre tous les auteurs de ces messages. Le gouvernement pourrait donc insuffler cette politique de répression. Mais, pour cela, il faut du temps et des moyens”, reconnaît l’avocat.
Condamné plus sévèrement ? Une fois les poursuites engagées, vient le temps du procès. Selon Me Anthony Bem, les juges sont “légitimement plus sévères" lorsqu’il s’agit de messages publiés sur Facebook, plutôt que des messages proclamés dans l’espace public.
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“Sur Facebook, les faits peuvent prendre plus d’ampleur. Quand un message litigieux est publié sur Facebook, les personnes qui peuvent le voir sont potentiellement plus nombreuses, puisqu’il n’y a pas de frontière géographique et que c’est indélébile tant que ce n’est pas supprimé. Du fait de son ampleur et de sa durée, la portée d'un message publié sur un réseau social est donc plus grave”, insiste Me Anthony Bem.
Pour rappel, l'apologie du terrorisme est régi par l'article 421-2-5 du code pénal, qui stipule que "le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende". Et les peines sont portées à “sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne."