Ayoub El Khazzani est enfin disposé à parler. Et son témoignage pourrait s’avérer capital. L’auteur de l’attentat manqué du Thalys, en août 2015, entretenait semble-t-il des liens avec la cellule du 13 novembre et notamment Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur présumé. S’il s’est expliqué mercredi devant un juge d’instruction cinq heures durant, des zones d’ombre persistent. Une nouvelle audition est prévue mardi prochain.
Quelle était la "cible" ?
D’emblée, Ayoub El Khazzani l’a reconnu. Contrairement à ce qu’il avait indiqué en garde à vue, il n’était pas à bord de ce train pour « détrousser » les passagers, mais bien pour commettre un acte terroriste. "Maintenant, il assume, il prend ses responsabilités. C’est en tant que terroriste qu’il est monté dans ce train", a assuré son avocate Me Sarah Mauger-Poliak, à l’issue de l’audition. Mais selon elle, Ayoub El Khazzani ne comptait pas commettre un "meurtre de masse", mais s’attaquer à une "cible" d’ores et déjà définie. "Ce n’est pas un hasard s’il est monté en première classe."
Une information qui pourrait expliquer pourquoi le djihadiste avait refusé de prendre le train précédent le jour de l’attaque. Ayoub El Khazzani a acheté son billet le jour même, le vendredi 21 août à la gare de Bruxelles-Midi. L'hôtesse lui propose de partir plut tôt, dans un autre train où il reste des places, mais il refuse : c'est dans le Thalys 9364 de 15h17, qui relie Amsterdam à Paris, qu'il est déterminé à embarquer. Néanmoins, certains éléments sèment le doute sur cet acte "ciblé", notamment son arsenal : un fusil d’assaut de type kalachnikov, un pistolet Luger M80, et de neuf chargeurs. Un petit bidon d’essence a également été retrouvé.
Reste à savoir qui était la "cible". Selon une source proche du dossier, il a indiqué qu’il voulait s’en prendre à "des Américains", sans plus de précision. Faisait-il référence aux trois militaires en vacances qui l’ont maîtrisé ? Impossible à dire à l’heure actuelle, mais ses paroles sont à prendre avec beaucoup de précaution : il pourrait s’agir d’un axe de défense pour minimiser son implication. Un Franco-Américain Mark Moogalian a pris une balle dans l'épaule, ressortie au niveau du cou, en tentant de l’empêcher d’agir.
Qui a commandité l’attaque du Thalys?
Dans son nouveau récit, Ayoub El Khazzani affirme ne pas avoir "agi seul". Les enquêteurs s’interrogent sur son appartenance, de près ou de loin, à la cellule Paris-Bruxelles à l’origine des attentats du 13 novembre et de ceux dans la capitale belge, en mars dernier. Selon une note des services de renseignement hongrois révélée il y a quelques semaines par le Centre d’analyse du terrorisme, le tireur du Thalys est revenu de Syrie en compagnie d’Abdelhamid Abaaoud. Un élément confirmé par Ayoub El Khazzani devant les juges d’instruction. "Il a retracé dans les grandes lignes son parcours de la Syrie, Turquie jusqu'en Europe. Avec Abaaoud", a expliqué Me Sarah Mauger-Poliak.
Selon la note des services hongrois, les deux djihadistes sont arrivés de Syrie à Budapest le 1er août 2015 en se mêlant aux migrants et ont séjourné dans le même hôtel. Le 4 août, Abaaoud est parti pour l'Autriche en voiture, et lendemain, El Khazzani, a pris la même direction, mais en train. Son témoignage pourrait fournir un éclairage précieux sur la manière dont le commando s’est structuré.
Les services de renseignements européens ont-ils failli ?
Ayoub El Khazzani, aujourd’hui âgé de 27 ans, était loin d’être un inconnu des services de renseignements européens. Ce qui ne l’a pas empêché de sillonner l’Europe pendant de longs mois avant son passage à l’acte.
En 2012, ce Marocain, qui a émigré avec sa famille en Espagne, est repéré par les enquêteurs espagnols. Alors en détention après une énième condamnation pour trafic de drogue, ses prêches légitimant le djihad lui valent d’être fiché comme "potentiellement dangereux". Il est alors inscrit sur la base de données partagées par les polices de l’espace Schengen. En février 2014, les services de renseignement espagnols signalent à leurs homologues français qu'Ayoub El-Khazzani a l'intention de franchir la frontière. Les services français émettent alors une fiche "S". Il s’installe, malgré tout, quelques semaines en France et travaille chez un opérateur de téléphonie mobile avant de déménager à Molenbeek, en Belgique. Un an plus tard, en mai 2015, il est repéré à Berlin d'où il s'est envolé pour la Turquie, porte d’entrée vers la Syrie.