Le 13e round de négociations se tient à partir de lundi à New York. Etats-Unis et Union européenne vont tenter de se rapprocher d'un accord de libre-échange commercial, accord déjà baptisé "Tafta" ou "traité de libre-échange transatlantique". Mais pour l'heure, les points d'achoppement restent encore nombreux. Selon les détracteurs du traité, un accord pourrait faire peser un risque sur les consommateurs du Vieux continent, en réduisant notamment les normes sanitaires. Qu'en est-il exactement ? Europe 1 fait le point.
- DANS L'ALIMENTATION, LA CRAINTE DU MODELE AMERICAIN
Quels sont les points d'inquiétude ? Afin de faciliter les échanges commerciaux, le traité vise à rapprocher les normes réglementaires des deux continents. Et parmi les points d'inquiétude : les normes sanitaires en vigueur dans l'agriculture. En Europe, le lavage du poulet dans le chlore pour diminuer la contamination bactérienne ou l'utilisation d'hormones ou d'antibiotiques pour faciliter la croissance dans les élevages bovins sont par exemple interdits, tout comme l'importation de produits traités comme tels. Aux Etats-Unis, en revanche, ces pratiques sont autorisées, tout comme l'utilisation d'OGM dans les cultures ainsi que l'emploi de nombreux pesticides interdits en Europe. Or, une levée des barrières en Europe ferait bondir les exportations américaines : jusqu'à +1.000% pour le bœuf et même… 33.505% pour la volaille (!), selon une étude du gouvernement américain relayée lundi par Le Parisien. Et la Maison-Blanche pousse pour la levée du plus de normes possible.
Pour l'heure, les autorités européennes refusent de mettre ces normes dans la balance. Mais pour obtenir des concessions sur d'autres points, certains pourraient être tentés de céder. "L'agriculture arrive en 4e ou 5e position dans la négociation. Nous redoutons que les Etats-Unis utilisent ce secteur comme monnaie d'échange une fois qu'ils auront consenti des concessions sur l'industrie ou la santé (sur le marché des médicaments ndlr.)", explique au quotidien Christiane Lambert, vice-présidente de la FNSEA, principal syndicats des agriculteurs.
Les pratiques américaines sont-elles vraiment dangereuses ? Reste alors une question : que risquerait vraiment le consommateur si des poulets au chlore et des bœufs aux hormones arrivaient sur les étals français ? Pour l'heure, absolument aucun risque n'a été démontré et les Etats-Unis pratiquent ce genre d'agriculture depuis des décennies, de manière plus ou moins réglementée. L'Oncle Sam raisonne tout simplement à l'inverse du Vieux continent : aux Etats-Unis, il faut qu'une pratique soit reconnue comme dangereuse avant d'être interdite. En clair, le principe de précaution est moins appliqué outre-Atlantique.
Sur le poulet lavé au chlore, par exemple, le risque redouté pour le consommateur (sans parler des doses de chlore rejetées dans l'environnement) est double : celui de favoriser l'apparition de cancers, notamment chez les enfants, et celui d'entraîner une résistance aux antibiotiques. Saisie par les pays européens sur cette question en 2011, l'EFSA, l'autorité sanitaire européenne, avait rendu un avis mitigé. Sur l'aspect cancérogène, l'EFSA estimait qu'en l'état actuel des connaissances, le chlore ne posait "pas de problème de sécurité dans les conditions d’utilisation proposées" dans les pays étudiés, notamment aux Etats-Unis.
Sur la résistance aux antibiotiques, "aucune donnée existante ne montre que l’utilisation de ces substances aboutirait à une augmentation de la tolérance bactérienne à leur égard, ou augmenterait la résistance à d’autres agents antimicrobiens". Mais l'agence introduisait aussi une nuance : "toutefois, certains signes indiquent une tolérance à d’autres substances antimicrobiennes ou biocides qui ne faisaient pas l’objet de cet avis". L'agence concluait alors en incitant à améliorer les recherches scientifiques en la matière. D'autant que l'EFSA assurait ne pouvoir tirer "aucune conclusion sur l'efficacité" du lavage du poulet au chlore dans le traitement contre la salmonelle, la bactérie qui attaque les dits poulets.
Sur la viande aux hormones, les risques redoutés sont peu ou prou les mêmes. Et là encore, difficile de trouver une étude tranchée sur la question. En 1999, une étude du comité scientifique vétérinaire suggérait par exemple que certaines hormones de croissance utilisées sur le bétail étaient cancérogènes, et notamment le 17 béta-oestradiol. Mais une autre étude publiée en 2003 par la commission européenne est ensuite venue affirmer qu'aucun lien n'était établi entre cette hormone telle qu'elle est utilisée pour le bétail et la santé humaine. La FAO, l'autorité sanitaire américaine, va dans ce sens-là et préconise donc son autorisation sur le marché. Pour les autorités américaines, le risque que des résidus d'hormones se retrouvent dans l'assiette du consommateur est quasi-nul. Le hic ? Impossible de contrôler toute la chaîne de production, ce qui pousse l'Europe à maintenir l'interdiction.
- ET AU-DELA DE L'ALIMENTATION, QU'EST-CE QUI FAIT PEUR ?
Plus de propriété, moins de recherche ? Les autres inquiétudes pour la santé des consommateurs portent sur le marché des médicaments. Avant l'Europe, les Etats-Unis ont déjà signé un accord de libre-échange avec le Canada et en négocient également un avec l'Australie. Et dans les deux cas, les textes prévoient de renforcer la propriété intellectuelle des laboratoires sur les médicaments qu'ils "inventent". Ce qui peut avoir un effet double pour les patients : ralentir la recherche (seuls les laboratoires titulaires d'un brevet pourront améliorer leurs médicaments) et ralentir la commercialisation de médicaments génériques.
Moins de transparence dans les essais cliniques ? D'autres craignent également une opacité encore plus dense autour des essais cliniques. "Les industriels du médicament font pression afin de remettre en cause le début de transparence qui a été décidé dans ce domaine par le Parlement européen. Dans le cadre des négociations sur le Tafta, l’industrie veut imposer l’idée que les essais cliniques sont des données commerciales confidentielles qui ne devraient pas être mises à la portée du grand public", regrette ainsi l'eurodéputée écologiste Michèle Rivasi, dans l'Obs. Depuis 2014, en effet, l'Union européenne a renforcé ses exigences en matière de transparence : obligation de rendre public l’état d’avancement du recrutement des participants aux essais, obligation de faire un résumé public des résultats un an après le début des tests… Un rapprochement avec les règles américaines obligerait à revenir en arrière sur ce type de questions.
Difficile, toutefois, de savoir à quelle sauce exacte nos poulets et nos médicaments seront cuisinés. Les éléments du débat autour du traité sont rarement rendus publics. Et beaucoup de choses pourraient encore changer d'ici à la fin des négociations. Pour l'heure, en Europe, les Etats sont tiraillés, entre les partisans d'un rapprochement rapide avec les Etats-Unis, quitte à faire des concessions (Royaume-Uni, Italie, Espagne, Allemagne) et les plus sceptiques (Grèce, Suède, Hongrie, Luxembourg). La France, elle, se situe entre les deux, tiraillée entre un patronat partisan d'une grande libéralisation et une opinion publique inquiète pour sa santé.