Pendant quatre ans, Frédéric raconte avoir "pleuré énormément " au travail et avoir été "détruit" par son emploi. Ou plutôt par son absence. S'estimant victime du "bore out" ou "syndrome d'épuisement professionnel par l'ennui", il attaque ce lundi son entreprise aux prud'hommes, une première en France sur cette base. L'homme espère faire jurisprudence car ce mal du 21e siècle, à l'existence contestée par certains spécialistes, n'est absolument pas reconnu.
Le bore-out, c'est quoi ? "Le burn-out, c'était le syndrome des 30 glorieuses. Le bore-out, c'est le syndrome des 30 piteuses", a coutume de résumer l'économiste Christian Bouriou, auteur de "Le Bore-out syndrome (Albin Mihel). Alors qu'avec le burn-out, le salarié s'épuise par un trop plein de travail, dans le bore-out l'employé s'épuise parce qu'on ne lui donne rien à faire. Pour Christian Bourion, le bore-out se distingue du plus traditionnel "placard" : "il y a un côté volontaire dans le placard, on est écarté parce que souvent on a dénoncé quelque chose, ça a donc du sens et du coup on est dans un combat. Dans l'ennui au travail, on se retrouve sans boulot, sans savoir pourquoi. Il n'y a pas de sens".
L'économiste distingue quatre phases : le salarié qui est dans l'attente, qui n'a rien à faire mais qui y croit encore. Puis vient le temps de la réaction, il essaye alors de jouer sur ses horaires, d'allonger ses pauses ou d'inventer son propre travail. Dans la troisième phase, surviennent les symptômes médicaux, le salarié plonge dans la dépression. La quatrième phase n'est pas partagée par tout le monde mais elle peut durer longtemps : le salarié a "désappris" le travail. "Lorsqu'il retrouvera un autre emploi et qu'on lui demandera plusieurs choses à la fois, il pensera qu'on le harcèle", explique Christian Bourion. Selon ce dernier, "le bore-out" "touche tout le monde" avec notamment l'automatisation des tâches dans les entreprises.
L'histoire de Frédéric. Frédéric, lui, n'a pas été écarté parce que son travail a été automatisé. Son histoire est plus complexe. En 2006, il est embauché dans une entreprise qui gère des licences de parfums de grandes marques. Officiellement, il est "responsable des services généraux", mais lui se décrit comme "M.Solution". Si pendant quatre années, tout se passe bien, avec un salaire confortable de 3.500 euros bruts par mois, la descente aux enfers débute après que son entreprise se soit séparée d'une marque de son portefeuille.
"Comme j'avais des missions transversales, je n'ai plus eu l'occasion de travailler", raconte à Europe 1 Frédéric. Ses employeurs ne lui confient plus que de toutes petites tâches voire "des tâches personnelles" comme "aller vérifier la chaudière" de l'un de ses patrons ou "gérer les travaux de l'appartement du directeur général". Frédéric se sent alors "dévalorisé", prend "27 kilos en 5 ans", fait un ulcère et finit par faire "une crise d'épilepsie sur l'autoroute". "Vous n'avez plus de force intellectuelle, vous n'existez plus", raconte-t-il. Il enchaîne les arrêts maladies avant de se faire licencier fin septembre 2014 pour "désorganisation de l'entreprise pour absence prolongée".
A-t-il une chance de gagner ? Ni le burn-out ni le bore-out ne sont reconnus en France comme des maladies professionnelles. Mais pour Sylvain Niel, avocat spécialiste du droit du travail, interrogé par l'AFP, les faits qu'ils désignent sont eux bien pris en compte par la justice. "Il existe 244 arrêts de la chambre sociale de la cour de Cassation portant sur des faits de mise au placard ou de déshérence professionnelle intentionnelles, considérés comme harcèlement moral", explique-t-il. Frédéric, lui, a choisi d'attaquer son ancien employeur pour licenciement abusif et harcèlement moral.
Néanmoins, il va se heurter à la solide défense de son ancienne entreprise. L'avocat d'Interparfums rejette ainsi intégralement les accusations de Frédéric. Il relève aussi que l'ex-employé a été condamné en décembre 2015 pour "diffamation", le tribunal évoquant une "animosité personnelle de sa part envers la société". Aujourd'hui, Frédéric s'est reconverti dans l'humanitaire, il recherche un emploi dans ce secteur d'activité.