Une simple amende mais pas de dépénalisation : le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, a confirmé jeudi sur Europe 1 le projet du gouvernement de mettre en place des amendes forfaitaires pour les consommateurs de cannabis, sans toutefois en dépénaliser l'usage. Cette mesure pourra toujours être assortie d’éventuelles poursuites judiciaires. Europe1.fr fait le point sur cette nouvelle amende, qui pourrait concerner les 14 millions de consommateurs réguliers, dont 700.000 fumeurs de joints quotidiens, en France.
Quel sera le montant de l’amende ?
La question est désormais tranchée : la consommation de cannabis sera sanctionnée d’une amende forfaitaire. "Nous allons forfaitiser ce délit. On veut tout de suite demander une somme" au consommateur, a affirmé Gérard Collomb sur Europe 1. D’après le rapport parlementaire remis mercredi au gouvernement, cette amende forfaitaire pourrait aller de 150 à 200 euros, afin de "tenir compte de la nécessaire solvabilité des usagers tout en conservant un caractère suffisamment dissuasif". Mais le montant exact reste encore à définir. Dans la législation actuelle, un consommateur de drogue risque jusqu’à un an de prison et 3.750 euros d’amende.
Le ministre de l’Intérieur a bien assuré que cette loi de 1970 ne serait pas touchée. L’instauration d’une amende forfaitaire n’empêchera pas en effet d’engager d’éventuelles poursuites pénales. "Il peut y avoir des poursuites. Il n’y a pas de dépénalisation de l’usage du cannabis. En fonction de ce qu’on aura pu voir, la forfaitisation n’éteint pas l’action pénale", a complété Gérard Collomb. Des poursuites seront engagées par exemple en cas de récidive, si le consommateur a déjà eu une amende, ou s’il est un trafiquant ou producteur présumé.
Tous les consommateurs sont-ils concernés ?
Le ministère de l’Intérieur, qui veut rester encore prudent, a précisé jeudi à l’AFP qu’"il n’y a pas de systématisation" des amendes et les forces de l’ordre feront "une appréciation au cas par cas" des personnes arrêtées. A priori, la mesure pourrait concerner tous les consommateurs pris en flagrant délit, quelle que soit la drogue utilisée, le rapport parlementaire faisant état de "stupéfiants" et non de "cannabis". Toutefois, les forces de l’ordre devraient s’attacher à sanctionner uniquement les fumeurs de joints, dont le nombre d’interpellations a été multiplié par trois sur les 20 dernières années. Reste qu’un seul public est formellement exclu de cette mesure : les mineurs, qui bénéficient d’un régime juridique à part, sous la supervision du juge des enfants. Or, 34.000 mineurs ont fait l’objet d’une décision de justice en 2016 pour usage ou trafic de stupéfiants.
Comme l’a précisé Gérard Collomb sur Europe 1, la contravention sera donnée tout de suite au consommateur pris en flagrant délit, via de "nouvelles technologies" comme les tablettes dont seront bientôt équipées la police et la gendarmerie. Toutefois, les policiers sont plutôt opposés à percevoir le montant de l’amende sur-le-champ. "Les forces de l’ordre ont plutôt écarté l’idée que le paiement puisse s'effectuer immédiatement sur la voie publique et ont fermement exprimé leur souhait de ne pas être chargées du recouvrement des amendes, dont la compétence relève du Trésor public", indique encore le rapport parlementaire. Un délai de recouvrement de 45 jours a ainsi été suggéré, payable sous peine de lancement d’une procédure judiciaire.
À quoi servira cette mesure ?
Pour les co-rapporteurs de la mesure, l'objectif de la réforme est avant tout de clarifier les sanctions (rappels à la loi, amendes et rarement des peines de prison), qui sont "peu lisibles et appliquées diversement sur le territoire". Sur quelque 140.000 interpellations chaque année pour consommation de stupéfiants, seules 3.098 peines de prison ont été prononcées en 2015, dont 1.283 ferme. Souvent, les consommateurs n'écopent que de simples rappels à la loi. L’amende permettrait donc d’unifier les sanctions.
L'enjeu de cette réforme vise également à soulager la charge de travail des forces de l'ordre et des magistrats. D’après le ministre de l’Intérieur auditionné en juillet dernier, les policiers passent "1,2 million d'heures" par an sur ces procédures. Emmanuel Macron, qui avait fait de cette mesure une promesse de campagne, avait déclaré que la réforme est conçue pour "libérer" du temps en allégeant "la lourdeur des tâches inutiles". Toutefois, l’échéance de cette mesure n’est pas encore connue et son adoption devra passer par une loi, peut-être celle sur la réforme de la procédure pénale, a encore indiqué Gérard Collomb. Cette dernière devrait être débattue au printemps prochain.
Une mesure "à côté de la plaque". Pour le Syndicat de la Magistrature (classé à gauche), cette mesure ne permettra pas de désengorger les tribunaux. "Aujourd’hui, il y a déjà des alternatives : le procureur peut décider d’un stage de sensibilisation aux drogues, faire une injonction thérapeutique, donner une amende…", détaille à Europe1.fr la secrétaire générale du syndicat Laurence Blisson. "Et cette mesure risque de voir au contraire la multiplication des recours judiciaires, pour contester l’amende." En outre, le syndicat, qui prône une dépénalisation voire une législation contrôlée du cannabis, estime que la consommation de stupéfiants doit sortir du champ pénal et appelle à un véritable débat de société : "Ça doit être vu comme une problématique de santé publique, avec une réponse du champ médical." Laurence Blisson dénonce à ce titre une mesure "à côté de la plaque" : "À quoi cela servira ? C’est contre-productif car ça n’aura pas d’effet dissuasif et il n’y aura aucune prévention sur l’usage des drogues."