Malgré l'accumulation de mesures répressives, rien n'y fait : près de 1,2 million de Français consomment régulièrement du cannabis et ils sont au moins trois fois plus nombreux à en fumer de manière occasionnelle, selon les chiffres de l'OFDT. La députée PS de l’Hérault, Anne-Yvonne Le Dain, s'est donc penchée sur la question et a rédigé un rapport avec son collègue UMP Laurent Marcangeli. Avec une conclusion très claire : il faut, a minima, dépénaliser le cannabis, voire le légaliser. L'élue s'est expliquée jeudi matin sur Europe 1.
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"On n'arrêtera pas ce déploiement du hashish en France". En guise de préambule, Anne-Yvonne Le Dain prévient : "je ne dis pas que (le cannabis) est bien : je suis contre le cannabis, je pense que c'est une erreur profonde d'en fumer ! La réponse, c'est dire : je suis devant un fait, j'en prends acte".
Et les faits sont éloquents : "4,5 millions de gens fument régulièrement, c'est énorme ! C'est une inflation, c'est constant, nous sommes devant une situation de fait. Je pense qu'on n'arrêtera pas ce déploiement du hashish en France : c'est devenu récréatif, festif, c'est banal ! Il y a 30 ans, les jeunes fumaient : aujourd'hui, ils ont 60 ans, ils continuent à fumer !", précise la députée. Cette dernière propose donc de légaliser sa consommation et sa vente, un choix tout sauf idéologique à ses yeux : "il ne s'agit pas de vouloir faciliter la consommation d'une drogue mais de prendre acte d'un fait".
L'interview d'Anne-Yvonne Le Dain sur Europe 1 :
Dépénaliser ou légaliser ? Si les deux auteurs du rapport parlementaire veulent sortir du tout-répressif, ils ne sont pas d'accord sur la méthode pour y arriver : Laurent Marcangeli préconise une dépénalisation, synonyme d'une généralisation des contraventions pour les consommateurs.
Anne-Yvonne Le Dain propose, elle, une légalisation en bonne et due forme. "Le cas du Portugal qui a dépénalisé et où consommation et trafic explosent ? Ils ne l'ont peut-être pas fait d'une manière suffisamment forte. Il faut aller jusqu'à ce que font les Pays-Bas et certains Etats des Etats-Unis. Mon opinion : on pourrait imaginer une vente sous contrôle de l'Etat ! Ce n'est pas du deal ; je pense qu'il faut en finir avec ces cachotteries. Nous sommes le pays européen où l'âge moyen d'entrée en contact du shit, c'est 17 ans ! Je sais que c'est polémique, mais au moins on en parle ! Il y a une omerta et un véritable trafic !", se justifie l'élue.
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Des avantages d'une légalisation. Pour la députée PS, légaliser la consommation du cannabis aurait une double vertu : mieux suivre les consommateurs et décharger les forces de l'ordre d'une fastidieuse et inefficace chasse aux consommateurs et petits dealers. "La grande question, c'est la santé publique. Il faut pouvoir prendre en charge les personnes en addiction. Il n'y a pas que les jeunes qui sont concernés et les policiers ne seront pas en train de courir derrière les petits dealers. Continue-t-on à faire comme si on n'avait qu'une attitude morale et moraliste ?", a-t-elle déclaré.
Un milliard d'euros dans les caisses de l'Etat ? Sans oublier les arguments purement économiques : légaliser, ce sont de nouvelles recettes fiscales, mais aussi un renforcement de la prévention qui coûte, in fine, moins cher que la répression. Or, si la répression n'a pas fait diminuer la consommation, elle coûte cher, comme le rappelait Pierre Kopp, professeur d'économie à l'université Panthéon-Sorbonne - Paris I, début 2014 sur Europe 1. La lutte contre le cannabis, c'est "12 à 15% de l'activité policière, 12 à 15% de l'activité des douanes", selon lui. Et ce dernier de poursuivre : "les dépenses en matière de répression de l'usage des drogues, en soi, ce n'est pas choquant, mais ce qui l’est, c'est que ça ne marche pas."
"Si on dépénalisait l'usage de cannabis, on économiserait donc 300, 400, voire 500 millions d'euros par an d'activité policière", renchérissait Christian Ben Lakhdar, enseignant-chercheur spécialisé dans l'économie des drogues et des addictions, dans les colonnes du Nouvel Observateur. A ces économies potentielles s'ajouteraient les recettes fiscales que génèrerait un marché estimé à 832 millions d'euros par an par l'OFDT. Taxé comme un produit normal (20%), le cannabis rapporterait 160 millions d'euros à l'Etat. Taxé comme les cigarettes (80% du prix final d'un paquet), ce qui est plus probable, il représenterait 665 millions d'euros de recettes fiscales. Soit au total, entre 460 millions et 1,165 milliards d'euros dans les caisses de l'Etat.
Reste à convaincre les parlementaires et l'exécutif, sachant de le président de la République est sceptique et le Premier ministre y est clairement opposé. "François Hollande est contre la dépénalisation ? C'est aussi notre rôle de députés de dire les choses, de les faire avancer. Je sais que ce n'est pas facile mais il faut avancer, ouvrir les yeux."
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