Christian Streiff, grand patron victime d'un AVC en 2008 : "Je vis de mieux en mieux avec cette vie que j’ai découverte après"

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Guillaume Perrodeau , modifié à
Chez Christophe Hondelatte, l'ancien patron de PSA Peugeot Citroën revient sur l'AVC dont il a été victime en mai 2008 et qui a fait basculer sa vie.

Chaque année, 140.000 personnes sont frappées par un AVC en France. Christian Streiff est l'une d'entre elles. Il était PDG de PSA Peugeot Citroën à l'époque. Mardi, il a raconté au micro de Christophe Hondelatte son histoire, qui a fait l'objet du film Un homme pressé, sorti en novembre dernier.

"Il fallait que je réussisse". En 2008, la crise financière touche des dizaines de milliers d'entreprises. PSA Peugeot Citroën n'échappe à la règle. Mais son PDG, Christian Streiff, a une idée pour relancer la marque : la DS3, une petite citadine haut de gamme. "J’étais dans une situation très lourde, avec toutes les restructurations qui s’annonçaient, tout le travail chez PSA. Je prenais ça tellement à cœur : il fallait que je réussisse", se souvient-il au micro d'Europe 1.

Le 22 mai 2008, comme tous les jours, il se rend au siège de PSA. Dès 11 heures du matin et malgré les quatre cafés engloutis dans la matinée, Christian Streiff se sent très fatigué. Alors il s'accorde une petite sieste, comme il en a l'habitude. Dix minutes, tout au plus. Il s'endort presque instantanément. À son réveil, il est entouré de son chauffeur, de sa secrétaire et de l'infirmière. Lui ne se rend compte de rien. Eux si. Il semble avoir fait un malaise. Direction l'hôpital de la Pitié Salpêtrière.

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Trois AVC. En début d'après-midi, alors qu'il est sur son lit d'hôpital, Christian Streiff se met à baragouiner de drôles de mots. Des phrases avec des termes inventés qui n'ont aucun sens. Le PDG ne se rend pas compte qu'il parle n'importe comment. Le lendemain, c'est encore pire. Christian Streiff a fait un AVC dans son bureau, mais il est aussi victime d'une anosognosie (le patient n'a pas conscience qu'il est malade), doublée d'une aphasie amnésique, ce qui explique ses problèmes pour parler. Le troisième jour, alors qu'il est toujours à l’hôpital, Christian Streiff fait un nouvel AVC. Le troisième en réalité.

En effet, huit jours avant son malaise dans son bureau, le PDG s'était levé avec le côté droit du visage légèrement paralysé. Il était passé outre, les choses étant rentrées dans l'ordre. En réalité, c'était son premier AVC.

"Il y a une volonté de ne pas accepter". Après son troisième AVC, son médecin l'avertit. Une partie de son thalamus, une zone du cerveau, est morte. Heureusement, elle ne stockait pas de données. Il a de la chance. Mais il va falloir que Christian Streiff soulage son cerveau. Il lui faut des séances d’orthophonie, mais surtout du repos. Beaucoup de repos. Deux à trois ans, c'est l'estimation du professeur pour que le PDG récupère. Mais Christian Streiff n'a qu'une idée en tête, reprendre la tête de son entreprise. Alors pour lui, les trois ans, ce sera plutôt trois mois. "Il y a une volonté de ne pas accepter ce qui m’est arrivé qui est colossale", analyse, avec du recul, Christian Streiff. 

Dès lors, Christian Streiff va tous les jours chez une orthophoniste, une à deux heures par jour. L'objectif, réapprendre des mots simples et leur sens. Des exercices pour enfants. Et après les mots, vient le tour des chiffres. Des additions de niveau de CM2. Trois mois passent, avec de petits progrès et fin juillet, Christian Streiff assure à Thierry Peugeot, président du conseil de surveillance du groupe PSA Peugeot Citroën, qu'il est capable de revenir à la tête du groupe. Il va redémarrer en douceur. Quatre à cinq heures par jour, ensuite une sieste, et bien sûr les séances chez l’orthophoniste.

La rechute. Mais dès le début du mois d'octobre, Christian Streiff bute à nouveau sur des mots, s'emmêle les pinceaux. Dans le groupe, l'état de santé du patron commence à faire parler. C'est finalement une audition des sénateurs qui va sceller son sort. Incapable de comprendre les questions posées et de répondre avec des chiffres précis, Christian Streiff apparaît totalement à côté de la plaque. Après plusieurs mois où il a réussi à faire illusion, les vraies difficultés le rattrapent. Cinq jours après cette audition, Thierry Peugeot l'appelle. Le conseil d'administration va le démettre de ses fonctions dans la journée. À l'époque, et pendant longtemps, Christian Streiff aura du mal à digérer cette décision. Aujourd'hui, son état d'esprit est différent. "Je dis que la famille Peugeot a été très attentive. Ils souhaitaient vraiment que je m’en sorte", souligne-t-il.

"Il faut y croire". Christian Streiff, de son côté, se rend aussi à l'évidence. Trois mois ne suffisaient pas, il fallait effectivement trois ans. Alors à partir de maintenant, il va poursuivre ses séances d’orthophoniste, mais également prendre le temps de vivre : des nuits de 15 heures sans réveil, des voyages, des balades, de la sculpture. Le temps fait son oeuvre. "Je vis de mieux en mieux avec cette vie que j’ai découverte après", confie-t-il. En trois ans, Christian Streiff va récupérer petit à petit. "En travaillant bêtement et de façon très résolue pendant des années, on réussit. (…) C'est une des raisons pour lesquelles j’ai écrit mon livre J’étais un homme pressé : dire aux personnes qui ont eu un AVC qu’il faut y croire", indique-t-il.

Le virus du grand patron, lui, n'est pas très loin. D'ailleurs, aujourd'hui, Christian Streiff est administrateur au Crédit agricole. Il a aussi investi et conseille trois start-ups. "J’ai appris à aider sans décider et faire à leur place. Cela a été un long chemin", ne cache pas l'intéressé. À 64 ans, Christian Streiff sait qu'il ne retrouvera sans doute jamais les rênes d'une entreprise du CAC 40. "J’ai toujours en tête que j’aurais pu faire plus, mieux et rester plus longtemps un grand patron", conclut-il.