"Les lanceurs d'alerte […] prennent des risques, ils doivent être protégés", a souligné François Hollande, lundi, au lendemain de la divulgation fracassante des fichiers "Panama Papers". Si cette déclaration du président de la République a suscité sur Twitter l'ironie d'Edward Snowden, dont la demande d'asile avait été rejetée par la France en 2013, les lignes bougent sur la nécessité de garantir enfin à ces "héros" contemporains une protection juridique et financière. Mardi, Michel Sapin abondait sur Europe 1 : "Les lanceurs d'alerte agissent de manière désintéressée, c'est la raison pour laquelle ils doivent être protégés". L'occasion de faire le point sur leur statut actuel.
- Qu'est-ce qu'un lanceur d'alerte ?
L'Américain Edward Snowden (scandale des écoutes de la NSA), l'Australien Julien Assange (WikiLeaks), les Françaises Irène Frachon (Mediator) et Stéphanie Gibaud (affaire UBS) ou encore le Luxembourgeois Antoine Deltour (LuxLeaks)… Tous sont ce que l'on appelle communément des "lanceurs d'alerte" ou "whistleblowers". Depuis 2014, le Conseil de l'Europe définit comme lanceur d'alerte "toute personne qui fait des signalements ou révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l'intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, qu'elle soit dans le secteur public ou dans le secteur privé".
Mais en France, pour l'instant, "la seule définition du lanceur d'alerte est partielle, restreinte à la santé et à l'environnement, avec la loi Blandin du 16 avril 2013", explique à Europe 1 Nicole-Marie Meyer, chargée de mission à l'ONG Transparency International, qui œuvre en leur faveur et a contribué à leur encadrement au niveau européen. Attention, précise-t-elle, "signaler ces actes ne consiste pas nécessairement à prévenir la presse", c'est aussi saisir en interne sa hiérarchie, le comité éthique de son entreprise ou administration.
- Quel est leur statut juridique en France ?
Il n'existe pas de définition ni de statut unique du lanceur d'alerte ; et la législation sur la question est plutôt récente. Entre 2007 et 2015, six lois se sont succédé pour protéger ces personnes qui prennent le risque de dévoiler des dysfonctionnements au cœur de leur administration ou de leur entreprise au nom du bien commun.
Si la loi du 6 décembre 2013 marque une avancée importante, en interdisant le licenciement pour un signalement "de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime", ces dispositifs législatifs demeurent lacunaires. Ils couvrent uniquement certains secteurs d'activité et la dénonciation de certains types de faits.
Ainsi, la première loi française à aborder leur protection (celle du 13 novembre 2007) "ne concerne que les salariés du secteur privé et le signalement de faits de corruption", illustre Nicole-Marie Meyer, elle-même ancienne lanceuse d'alerte. Bien souvent, déplore-t-elle, "on fait du sectoriel parce qu'on légifère à la suite de scandales ou de tragédies".
Pour exemple, le scandale du Mediator a donné lieu à la loi du 29 décembre 2011, qui protège les employés des secteurs public et privé, mais concerne uniquement "les faits relatifs à la sécurité sanitaire des médicaments et produits de santé". Quant à la retentissante affaire Cahuzac, elle a abouti à la loi sur la transparence de la vie publique, qui encadre seulement les signalements liés aux "conflit d’intérêts relatifs aux élus et fonctionnaires".
- Qu'en dit le projet de loi Sapin II ?
Présenté le 30 mars par Michel Sapin, le projet de loi sur la transparence de la vie économique et la lutte contre la corruption vise notamment à rattraper le retard de la France sur ce point. Il devrait enfin établir "une définition du lanceur d'alerte" et "les principes de sa protection", d'après un communiqué du ministre des Finances.
Une nouvelle agence de lutte contre la corruption viendra remplacer l'actuel Service central de prévention de la corruption, créé en 1993. Cette instance aura notamment pour vocation de mieux accompagner les lanceurs d'alerte en les informant "sur la protection juridique dont ils peuvent bénéficier", mais aussi en "anonymisant leurs signalements et en les reprenant à son compte".
- Vers des aides financières pour les lanceurs d'alerte ?
Parmi les mesures de cette loi dite "Sapin II", figure aussi celle du financement de l'accompagnement juridique des lanceurs d’alerte. "Beaucoup de scandales récents n'auraient pas éclaté sans leur courage. Hélas, certains en payent lourdement les conséquences, dans leur vie professionnelle et privée", expliquait en février dernier Michel Sapin, dans les colonnes du Parisien. Souvent engagés dans de longues procédures judiciaires, ils doivent assumer de lourds frais d'avocats. "C'est un point extrêmement positif", estime auprès d'Europe 1 Olivia Nloga, collaboratrice du député PS Yann Galut.
Ce dernier a déposé le 29 mars dernier une proposition de loi visant à mettre en place un statut global du lanceur d'alerte, proche de celui défini par le Conseil Européen. Le texte, élaboré avec Transparency International, Anticor, et la Fondation Sciences Citoyennes défend une protection globale, unifiée des lanceurs d'alerte.
Yann Galut propose lui, en sus, une indemnisation du lanceur d'alerte pour compenser le préjudice moral et financier (perte de travail, dépression, importants frais judiciaires, etc.). "Il ne s'agit pas d'une rémunération, mais d'un dédommagement. Car ce n'est pas l'information que l'on paie, mais le préjudice subi par le lanceur d'alerte suite à la révélation de celle-ci", détaille sa collaboratrice parlementaire.
- Comment financer cet accompagnement ?
Selon les informations du Parisien, la prise en charge des frais juridiques des "whistleblower" pourrait provenir d'une part des bénéfices issus de la vente des biens de justiciables, confisqués par l'Etat en marge de procédures judiciaires. En 2015, l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués disposait de 114.954 objets, pour une valeur totale de 720 millions d'euros, comme l'indiquait L'Obs.
Qu'en est-il des autres pays ?
A l'échelle internationale, "60 pays ont adopté une législation sectorielle ou globale sur l'alerte éthique", indique Nicole-Marie Meyer. Parmi ces Etats, 12 ont adopté une législation complète autour des lanceurs d'alerte.
En Europe figurent notamment le Royaume-Uni, "qui protège depuis 1998 les secteurs privé et public, y compris les policiers", précise Nicole-Marie Meyer, et l'Irlande (2014) ou encore la Serbie (2014). Aux Etats-Unis, le Whistleblower Protection Act, voté en 1989 et révisé en 2012, protège les lanceurs d'alerte (du secteur public) – à quelques exceptions près, comme Edward Snowden.