Les prisons sont souvent pointées du doigt comme étant un lieu de radicalisation. Pour y remédier, l'administration pénitentiaire a décidé d’utiliser un nouveau dispositif : une grille de "repérage du risque de radicalisation violente", comme le dévoile La Croix mardi et l'évoquait déjà L'Humanité, il y a une dizaine de jours. Cela fait plus d'un an que l'administration pénitentiaire travaille sur cette grille, visant à repérer les profils de détenus en voie de radicalisation. L'expérimentation de cet outil, qui vient de commencer, durera trois mois.
"Repéré", "Non repéré". Pour permettre d'établir une bonne détection des détenus concernés, la grille repose sur une multitude de questions assez variées. Beaucoup portent sur les signes religieux, mais pas seulement : le détenu présente-t-il "des signes physiques ou ostensibles de sa confession ?", adopte-t-il "un discours empreint de références au religieux, quel que soit le sujet abordé ?" ou encore refuse-t-il "d'avoir affaire avec le personnel féminin ?"
Parmi la foultitude de critères retenus, on trouve aussi des questions plus surprenantes portant sur l'estime de soi, le caractère influençable, l'intolérance à la frustration, le goût du risque ou la théorie du complot. Et devant chacune, l'agent pénitentiaire doit cocher l'une de ces trois réponses : "repéré", "non repéré" ou "élément manquant".
Des questions trop englobantes ? Interrogé par Europe 1, Olivier Caquineau, conseiller pénitentiaire d'insertion et probation, se montre toutefois sceptique. "Le risque est que le filet de pêche soit tellement large qu'on attrape un peu tout le monde et n'importe qui. En cochant des choses que l'on retrouve chez pas mal de détenus, certains arrivent à plus de la moitié des items et peuvent très vite être signalés en voie de radicalisation", développe-t-il.
Le secrétaire général du SNEPAP-FSU pointe un trop grand nombre "de critères religieux" au sein desquels peuvent être noyés d'autres signaux, et qui risquent par ailleurs de stigmatiser une partie de la population carcérale, de religion musulmane. D'autant que, pour lui, les profils les plus inquiétants pratiquent plutôt la dissimulation.
Regards croisés entre intervenants pénitentiaires. Mais, pour l'administration pénitentiaire, l'idée avec ces fiches d'évaluation est d'avoir une vision globale du détenu, de croiser les différents constats. Et justement d'éviter les mauvais diagnostics. C'est pour cette raison que ces grilles sont distribuées aux surveillants, aux personnels d'encadrement de la pénitentiaire, mais aussi aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), en vue d'un échange pluridisciplinaire sur un même détenu.
La mobilisation des SPIP signifie que, même une fois sorties de prison, ces personnes pourront continuer à être évaluées. Problème, certains conseillers d'insertion et de probation - chargés de suivre les détenus et de les accompagner vers l'extérieur -, craignent d'être assimilés à des agents de renseignement. "Ce n'est pas la grille en elle-même qui pose problème, mais ce que l'on va en faire. La frontière est ténue entre l'objectif de renseignement et celui de prise en charge des détenus", met en garde Olivier Caquineau, précisant notamment que la synthèse effectuée sur le détenu pourra servir d'avis pour un aménagement de peine.
Des grilles perfectibles. Mais si la forme de cette méthode surprend, tout cela est destiné à évoluer, à être modifié et affiné après les trois mois d'expérimentation. La pénitentiaire "se dit ouverte aux remontées de terrain", indique La Croix, et les grilles définitives ne devraient être établies qu'en fin d'année.