Conseils "nocifs" en pharmacie : "Des confrères perdus dans la routine"

Les pharmacies pourraient à terme obtenir une certification de "bonne qualité" en conseil.
Les pharmacies pourraient à terme obtenir une certification de "bonne qualité" en conseil. © STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
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Mathilde Belin
L’Ordre national des pharmaciens déplore que certaines officines fassent preuve de négligence dans le conseil au patient, mais assure qu’il ne s’agit que d’une minorité.
INTERVIEW

Un pharmacien sur quatre recommande des doses nocives de paracétamol pour la santé, d’après l'UFC-Que Choisir. L'enquête de l’association, publiée mercredi, a consisté à envoyer ses membres dans 772 pharmacies, pour acheter deux médicaments contre le rhume sans ordonnance, à savoir le Doliprane et l’Actifed Rhume jour et nuit. Sauf qu’il est déconseillé d'associer les deux puisqu'ils contiennent le même principe actif, du paracétamol. 

Si la grande majorité des pharmacies ont prévenu les faux clients du danger que représente l'association de ces deux médicaments - qui amène à un surdosage de paracétamol (à partir de 3 g par jour) -, 24% des pharmacies ont conseillé un traitement à une dose nocive de paracétamol, ou n’ont tout simplement pas prévenu le patient des risques encourus. Formation des pharmaciens, automédication des Français, lisibilité des médicaments : Europe1.fr a posé trois questions à Carine Wolf-Thal, pharmacienne et présidente de l’Ordre national des pharmaciens, pour analyser ce phénomène.

  • Les pharmaciens sont-ils insuffisamment formés, ou ce phénomène résulte-il de négligences en conseil ?

"Dans la formation des pharmaciens, il n’y a aucun problème. C’est dans l’exercice au quotidien que certains confrères – ce n’est pas la majorité des pharmaciens, je le rappelle – se laissent perdre par la routine et le temps… Et ils négligent le conseil sur des produits connus du grand public, ils négligent de rappeler la posologie. Après ce n’est pas une excuse, on le déplore, et on se bat pour la qualité des officines. Mais la formation des pharmaciens est quand même de meilleure qualité aujourd’hui qu’auparavant, les capacités des organismes de formation sont là. Et l’enquête d’UFC-Que Choisir le montre : il y a 76 % des pharmaciens qui donnent les bons conseils."

  • Les Français ont-ils trop tendance à l’automédication, négligeant de passer par une prescription du médecin ?

"Les pharmaciens savent le faire : dans un contexte de déserts médicaux, le rhume fait partie des pathologies qu’ils peuvent prendre en charge. Je suis même pour l’automédication : les patients se responsabilisent sur les traitements à prendre et le pharmacien les accompagne dans leur démarche. D’ailleurs, un pharmacien peut toujours refuser de délivrer un médicament en 'libre-service' s’il le juge nocif pour le patient. C’est même un devoir. Car on doit tout de même limiter la consommation des médicaments : si un patient me demande, pour un mal de gorge par exemple, et des pastilles et du sirop pour la toux, je lui dis que ça ne sert à rien de tout prendre en même temps. Le pharmacien est là pour conseiller dans l’automédication du patient. Mais cette automédication doit bien sûr se faire avec un conseil de qualité."

  • Peut-on rendre les boîtes de médicaments sans ordonnance plus lisibles, pour prévenir des risques de surdosage ?

"Souvent, le pharmacien va déjà noter sur la boîte du médicament la posologie à respecter. Et c’est aussi écrit sur les notices, mais il est vrai qu’elles ne sont pas toujours lisibles. On peut rendre ces boîtes plus claires. Améliorer l’emballage des médicaments, ça fait d’ailleurs partie des recommandations de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Il s’agit notamment de clarifier les 'marques ombrelles', lorsqu’une marque décline sous son nom plusieurs types de médicaments qui ne traitent pas du tout la même chose. Cela peut créer de la confusion chez le patient, qui ne va pas se soigner avec le bon médicament. Après, les boîtes de médicaments sont déjà assez petites et il existe de nombreuses obligations réglementaires, comme mettre un pictogramme pour les femmes enceintes ou pour la vigilance au volant… Et puis la posologie dépend aussi du patient qui le prend : ce n’est pas la même chose pour un adolescent de 15 ans ou pour un adulte."

Vers une certification "qualité" des pharmacies. "On s’engage pour la certification des officines pour aller vers le zéro défaut", a déclaré Carine Wolf-Thal à Europe1.fr, alors que chaque année sont observées des négligences dans certaines pharmacies. L’Ordre national des pharmaciens veut entreprendre de faire évaluer les officies de l’Hexagone, pour garantir au patient la qualité du conseil dispensé. L’ensemble de la démarche qualité d’une officine serait ainsi passée au crible, avec un panel de référentiels, dont le conseil et l’accompagnement des patients, détaille la présidente de l’Ordre. Une réunion doit se tenir le 4 avril avec la profession pour établir une feuille de route, qui sera soumise au ministère de la Santé. Aujourd’hui, 2.000 officines sont déjà certifiées par des organismes agréés car des groupements de pharmacies le proposent. "Il faut maintenant accélérer le mouvement et que ce soit homogène, avec le même référentiel pour tous", plaide Carine Wolf-Thal.