Depuis une petite semaine, un nouveau "jeu" semble séduire de plus en plus de collégiens et lycéens français : se filmer soi-même pendant un cours ou filmer son professeur, via Periscope, cette application qui permet de retransmettre la vidéo en direct sur Twitter. Depuis quelques jours, environ une vidéo de ce type est publiée toutes les cinq minutes. Il n'y a pas de raison apparente : il suffit que l'un s'y mette, et la tendance se propage. De quoi inquiéter le corps enseignant ?
Comment ça marche ? Le fonctionnement de ce "jeu" est enfantin : un élève télécharge l'application Periscope sur son Smartphone, puis il réalise une vidéo pendant un cours, et celle-ci est retransmise en même temps sur Twitter. L'élève met un titre à la vidéo et il peut observer le nombre de personnes qui la regardent et les différents commentaires des internautes. La plupart du temps, les élèves se contentent de se filmer en disant deux ou trois bêtises. Mais parfois, ils filment aussi leur professeur, voire le provoquent ou critiquent la note de leur dernier devoir par exemple. Et puis il y a la course aux vues : "pour 30 vues, je frappe mon voisin", "pour 50, je fais la ola en cours" voire "pour 200, je pisse pendant le cours", sont des titres que l'on peut trouver sur ces vidéos.
"Cela peut-être très douloureux pour un enseignant". Si toutes ces menaces ne sont pas suivies d'exécutions, le "jeu" révèle un problème bien réel. Le téléphone est censé être radicalement proscrit des cours. Et encore plus si cela risque de porter atteinte à l'image du professeur. "Un élève qui filme un professeur, cela arrive régulièrement, et depuis plusieurs années. Cela peut être après un conflit ou simplement pour s'amuser. Et cela risque d'empirer avec ce type d'applications", raconte-t-on au Snes d'Aix-Marseille, syndicat d'enseignants de la région confronté à ce type de problèmes. "Cela peut être très douloureux pour un enseignant. Une relation pédagogique se construit entre un élève et le professeur. Si cela sort du cadre de la classe, le contrat pédagogique est rompu", poursuit le syndicat.
"C'est arrivé la semaine dernière dans mon établissement. Une élève s'est faite exclure deux jours", raconte également à Europe 1 une enseignante du secondaire, à Hénin-Beaumont. Et de poursuivre : "Nous n'avions jamais entendu parler de ça avant. Il faut dire que nous, les vieux profs, nous ne sommes pas très au fait de ce genre de problématique. Nous n'y sommes que peu sensibilisés. On ne craint que ce que l'on connaît !". Pour cette dernière, toutefois, il n'y a pas lieu de s'inquiéter outre-mesure. "Depuis que l'élève a été punie, nous n'avons pas constaté de récidive. Cela semble avoir servi d'exemple. D'autant que l'on est pris assez facilement en train de faire une chose pareille. L'élève peut difficilement se cacher", assure l'enseignante.
"Il vont encore inventer autre chose". Le phénomène reste encore difficile à mesurer. Contactés, le secrétariat général du Snes ainsi que de nombreuses permanences françaises du syndicat majoritaire (nous avons appelé à Lyon, Aix-Marseille, Bordeaux, Lille, Orléans-Tours, Grenoble, Rouen, Dijon et Rennes) n'ont pas encore eu vent de soucis particuliers liés à Periscope. Le ministère de l'Education nationale, non plus.
"Nous serons vigilants, comme pour toutes les préoccupations liées aux nouvelles technologies", assure Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes. "Nous devons continuer à sensibiliser les élèves : parfois, ils ne se rendent pas compte de ce qu'ils risquent. Ils portent atteintes à la dignité de la personne et cela est répréhensible, parfois même juridiquement, que cela soit vis-à-vis d'un enseignant ou d'élève à élève", détaille-t-elle. "Les portables représentent un vrai problème de manière générale. Entre les jeux, les chats et les applications, on voit de plus en plus les élèves regarder leurs genoux et de moins en moins le tableau", témoigne l'enseignante d'Hénin-Beaumont. Qui raconte encore : "cette semaine, pendant un cours, mon vidéoprojecteur s'est éteint six fois. Jusqu'à ce que je comprenne que c'est un élève qui me l'éteignait, via son application 'télécommande'. Je parie que si vous m'appelez la semaine prochaine, ils auront encore trouvé autre chose".