"On est face à des attentats qui repassent au stade de l'arme automatique, de l'explosif, avec des gens qui ont des connexions, de l'expérience. On repasse à un stade d'escalade militaire." À quelques semaines du début de l'été, les analyses des spécialistes du terrorisme comme François-Bernard Huyghe, directeur de recherches à l'IRIS, inquiètent. "Depuis quelques temps, on voyait plutôt des attentats amateurs, ou brouillon", estime le spécialiste. Jusqu'à l'attentat-suicide qui a fait 22 morts à Manchester, lundi soir. Preuve que la menace demeure imprévisible et "à un très haut niveau", selon les mots du Premier ministre, Édouard Philippe. Depuis, l'attaque et son mode opératoire poussent les autorités à tenter de parfaire des dispositifs de sécurité déjà drastiquement renforcés, au Royaume-Uni, mais aussi en France.
Un guide pour tirer les leçons de Nice. À Paris, le ministère de l'Intérieur n'a pourtant pas attendu le drame de Manchester pour anticiper l'été et les risques liés à ses nombreux rassemblements populaires. Fin avril, il a publié "gérer la sûreté et la sécurité des événements et sites culturels", un guide destiné à la sensibilisation des organisateurs de manifestations estivales. L'un des objectifs du document, très didactique, était de tirer les leçons de l'attentat de Nice et de son mode opératoire meurtrier - l'attaque au camion-, depuis à nouveau utilisé à Berlin et à Londres.
Le document suggère ainsi aux équipes de sécurité de s'habituer à repérer "un véhicule de livraison stationné devant une manifestation", "paraissant en surcharge", ou dont le chauffeur aurait "une conduite mal assurée". "Dans la mesure du possible, installez votre point de contrôle d'accès à l'écart du site protégé, mettez en place des patrouilles régulières et donnez pour instruction au personnel de s'intéresser à tout individu manifestant un comportement suspect", préconisent encore les auteurs. À Nice, le 14 juillet dernier, le terroriste avait loué un camion frigorifique avec lequel il avait effectué plusieurs trajets de repérage avant d'attaquer la Promenade des Anglais.
Les futures cibles potentielles anticipées. Quelques semaines avant l'attaque de Manchester, le guide anticipait aussi certaines évolutions dans le choix des cibles : après la généralisation des palpations ou des portiques, il préconise d'accorder une attention particulière aux files d'attente, sortes de rassemblements avant le rassemblement. "Privilégiez une gestion de file d'attente entre l'espace public et le site de l'événement", et donc pas dans la rue, par exemple, ou "assurez-vous que vos procédures d'entrée et de sortie permettent aux usagers autorisés de passer sans efforts ni retards excessifs" afin de ne pas multiplier le temps d'attente et le risque, recommande-t-on aux organisateurs.
Toujours avant Manchester, l'attentat des Champs-Elysées avait poussé la préfecture de Police de Paris à prendre des mesures spécifiques pour sécuriser les sites touristiques de la capitale à l'approche de l'été. Un centre de vidéosurveillance entièrement dédié à sept zones touristiques, dont la tour Eiffel, le musée du Louvre ou encore le quartier de Montmartre, doit notamment être mis en place. Les accès à la capitale depuis les aéroports devraient, eux, faire l'objet d'une "sécurisation spécifique", ainsi que l'ensemble des transports en commun.
Les contrôles d'identité autorisés. Après l'attentat suicide de lundi soir, les responsables de la lutte antiterroriste en France se sont donc réunis pour évoquer d'éventuels aménagements d'un dispositif déjà maintes fois "renforcé". Le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, a adressé aux préfets une nouvelle circulaire destinée aux organisateurs d'événements estivaux. "Le mode opératoire des terroristes bouge et change à chaque fois. À Manchester, c'est à l'issue du concert, non pas pendant et avant, que cet attentat kamikaze a eu lieu, a, de son côté, souligné le préfet de Police de Paris, Michel Delpuech, devant une cinquantaine de responsables de chaînes de cinéma, salles de spectacle et fédérations sportives.
Ainsi, depuis mardi soir, les policiers et militaires du dispositif Sentinelle ont "adapté leurs horaires pour sécuriser de manière visible la sortie des salles de spectacle". Les exploitants de salle sont également invités à "faire une petite surveillance périmétrique" à l'heure de la sortie. Toujours à Paris, un arrêté du préfet de police autorise les contrôles d'identité aux abords de ces salles. Enfin, les forces de l'ordre s'appliquent à repérer "les initiatives qui peuvent être plus sensibles (...) notamment des journées spécifiques dédiées aux jeunes, que ce soit dans des cinémas, des théâtres ou des enceintes sportives".
Le modèle de l'Euro 2016. À la fin du printemps et au début de l'été, l'attention sera surtout focalisée sur les événements sportifs prévus en France, sécurisés sur le modèle de l'Euro 2016, qui a prouvé son efficacité. Le tournoi de tennis de Roland-Garros, qui devrait accueillir environ 45.000 Personnes du 28 mai au 11 juin, a porté son nombre d'agents de sécurité à 1.200, avec trois points de passage obligatoires - pré-filtrage, passage au magnétomètre et palpation - aux abords du complexe de la porte d'Auteuil. Le cas du tour de France, du 1er au 23 juillet, reste particulier : l'épreuve dure près d'un mois, sur près de 3.500 km et avec 10 à 12 millions de spectateurs au bord des routes. En 2016, la Grande Boucle avait mobilisé 23.000 policiers et gendarmes, ainsi que le GIGN. Un dispositif renforcé est en cours de finalisation pour l'édition 2017.