"Je demande à ma communauté de retirer la kippa provisoirement le temps que les choses se calment". Par ces mots prononcés mardi, le président du Consistoire israélite de Marseille, Zvi Ammar, a lancé une polémique qui a largement débordé la communauté juive de Marseille. Les principaux représentants français du judaïsme ont fait bloc contre cette décision, soutenus par de nombreux politique. Comment comprendre les deux positions ? Europe 1 a décortiqué leurs arguments.
La Kippa ferait des juifs une cible visible. C'est la principale justification de Zvi Ammar : c'est parce que sa communauté est en danger qu'il en appelle à enlever la Kippa. Son appel intervient après l'agression à Marseille d'un enseignant juif par un adolescent se revendiquant de Daech. "Il vaut mieux ne pas porter la Kippa dehors, jusqu'à nouvelle ordre. Je ne veux pas qu'il arrive un malheur. La vie est la chose la plus sacrée que nous avons", explique le président du Consistoire israélite de Marseille, qui avoue prononcer une recommandation "ridicule" dans la France du 20e siècle. "J'ai mal au ventre en prononçant ces mots mais 'oui, c'est nécessaire', pour une très courte durée, je l'espère. Aujourd'hui nous avons à faire à des barbares", explique-t-il.
Un appel similaire à ôter la kippa avait déjà été lancé par l'enseignant victime de l'agression, via son épouse, citée par l'AFP : "aujourd'hui, il a mis sa casquette, et il encourage la communauté à faire comme lui". La présidente du Crif Marseille-Provence, Michèle Teboul, a pour sa part estimé qu'il fallait "vivre normalement", mais qu'elle ne pouvait que se "plier" à cette décision "si c'est pour assurer la sécurité des juifs".
Interrogé sur RTL, le militant pour les droits des victimes de la Shoah, Serge Klarsfeld, ne dit pas autre chose : "Il y a des territoires qui sont dangereux, à Marseille en particulier puisque le président du Consistoire de Marseille a recommandé de ne pas la porter. La première résistance, c’est de ne pas être une victime et de ne pas porter de signe distinctif qui vous signale comme une cible". Ce dernier, d'ailleurs, n'hésite pas à ironiser sur ceux qui condamnent Zvi Ammar : "ceux qui le disent sont des personnalités protégées par leurs fonctions, ont des gardes du corps, circulent entre Neuilly, le 16ème et le 8ème et qui acceptent la précaution".
>> Certains, sur les réseaux sociaux, se montrent compréhensifs envers Zvi Ammar
Je partage l'opinion de Zvi Ammar et il vaudrait mieux qu'elle ait du succès #SoyezPrudents face à ce qui s'est passé à #Marseille
— Jenny (@Jenny14800) 13 Janvier 2016
@ClaudeGoasguen@beatricelecoz@AssembleeNat d'accord à 100% mais je comprends les deux positions sur la kippa..
— Gabriel-Jean (@gabriel4347) 13 Janvier 2016
Cela a dû faire tellement de mal à Zvi Ammar de devoir faire une telle déclaration :-( Arriver à un tel renoncement ... Ma France
— Marion Scappaticci (@m_c_scappa) 12 Janvier 2016
Garder sa Kippa pour ne pas "céder" aux djihadistes. La position de Zvi Ammar n'en a pas moins suscité une bronca généralisée. Et le premier argument avancé par ses détracteurs, au sein de la communauté juive, c'est le risque d'envoyer un message intolérable : les djihadistes l'ont emporté contre la tolérance religieuse. "C'est un cri d'émotion compréhensible, mais nous ne devons céder à rien, nous continuerons à porter la kippa", a ainsi déclaré Haïm Korsia, le grand rabbin de France, appelant même "l'ensemble des supporteurs de l'Olympique de Marseille à revêtir mercredi 20 janvier un couvre-chef", en signe de solidarité.
>> Même type de réaction pour le réalisateur juif Alexandre Arcady
.@AlexandreArcady appelle "l'ensemble de la société à revêtir au moins une journée la kippa par solidarité" #E1Midihttps://t.co/tDkVMri6iP
— Europe 1 (@Europe1) 13 Janvier 2016
Ne pas faire un "appel collectif". Même chez les juifs libéraux, pour qui porter la Kippa dans l'espace public est loin d'être une obligation, on a du mal à comprendre "l'appel" de Zvi Ammar. Car ce qui choque le plus, c'est qu'il émane d'un représentant officiel, à l'encontre de toute une "communauté". Or, la Kippa est un choix personnel. "Je comprends que certaines personnes en difficulté, dans des quartiers difficiles, puissent avoir peur. Mais il est hors de question de donner une consigne générale. Il ne faut pas céder au terrorisme. Le port de la kippa est un choix personnel, pas une démonstration ostentatoire de la foi. Le remettre en cause n'a donc pas de sens", argumente ainsi Marc Konczaty, le président du Mouvement Juif Libéral de France, contacté par Europe 1. En clair, Zvi Ammar n'a pas à prendre la responsabilité d'un tel appel.
C'est, en substance, également ce que reproche Roger Cukierman, le président du Crif, à Zvi Ammar : "donner une recommandation collective, je trouve que ce n'est pas très digne. C'est donner la victoire aux djihadistes. Au contraire, il faut résister, se battre, c'est notre honneur et notre dignité de juifs".
Afficher une Kippa, pour défendre la laïcité. La question a amplement débordé la communauté juive. Et ce jusqu'à la classe politique, où le "message" compte. Face aux terroristes, nombreux sont ceux qui soutiennent le port de la Kippa, en soutien à une laïcité ouverte. "Ça part forcément d'une bonne intention, mais ce n'est pas ce qu'il faut envoyer comme message évidemment, et sûrement pas en ce moment", a déclaré la ministre de l'Education, Najat Vallaud-Belkacem, sur France Inter. "Je considère qu'un juif peut porter la kippa, un chrétien une croix, tel ou tel porter un signe distinctif. Personnellement, je me battrai pour qu'un juif puisse porter la kippa, et cela il faut le protéger", a renchéri le président du Sénat, Gérard Larcher.
Deux députés, Claude Goasguen (LR) et Meyer Habib (UDI), ont même porté brièvement une kippa devant les caméras mercredi, dans les couloirs de l'Assemblée. "Je ne suis pas juif, je mets la kippa à @AssembleeNat par solidarité. Je comprends la crainte mais il ne faut pas reculer #stopantisemitisme", a tweeté le député de Paris Claude Goasguen.
>> Sur les réseaux sociaux, les déclarations de défense de la Kippa se multiplient, beaucoup tournant en dérision l'appel de Zvi Ammar :
Merci à @ClaudeGoasguen de joindre les actes aux mots ! #JePorteLaKippa#TousAvecUneKippa#Goasguen#DirectANpic.twitter.com/JpATWNAfD2
— Marine (@zzarine) 13 Janvier 2016
Heureusement quand tout va mal il y a encore @joannsfar#kippapic.twitter.com/vIpd3sp60N
— Hélène Fontanaud (@HeleneFontanaud) 12 Janvier 2016
EN FRANCE, PEUT-ON GARDER SA KIPPA?Le dessin du Monde de ce mardi 12 janvier 2016. pic.twitter.com/LKbMhnTi6J
— PLANTU (@plantu) 12 Janvier 2016
Au fait, que représente la Kippa pour les juifs ? Le port de la kippa est notamment un signe d'humilité, de révérence, vis-à-vis de Dieu. Mais son obligation pour tous les fidèles n'apparaît pas clairement dans la "Torah", la loi juive. "Pour les fils d'Aaron (frère de Moïse, premier prêtre d'Israël ndlr) tu feras des tuniques, tu leur feras des ceintures, et tu leur feras des bonnets, pour marquer leur dignité et pour leur servir de parure" lit-on simplement dans l'Exode (28: 40). A une certaine époque, seuls les prêtres portaient donc la Kippa. Aujourd'hui, la question de cette obligation du port de la Kippa par tous divise les rabbins.
Résultats : si la coutume fait que les juifs se couvrent toujours la tête dans une synagogue, seuls les plus orthodoxes en font une véritable obligation dans la rue. En revanche, certains juifs, pas forcement les plus orthodoxes, choisissent d'eux-mêmes de la porter hors de la synagogue, pour montrer à Dieu leur soumission et leur humilité, pour Lui montrer qu'ils ont conscience de Lui être inférieur.