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Au micro de Culture médias, sur Europe 1, les journalistes Damien Licata et Florian Loisy, du Parisien, reviennent sur la vaste enquête qu'ils ont publiée pour le quotidien francilien, et dans laquelle il décrypte la manière dont les trafiquants se servent de ce réseau social comme d'un "outil marketing".
INTERVIEW

Le Parisien a publié jeudi une enquête édifiante consacrée à Snapchat. Avec 15 millions d’utilisateurs par jour en France, qui partagent photos et vidéos, Snapchat est l’une des applications les plus utilisées par les adolescents, mais est surtout devenu un support privilégié par les délinquants. Ils sont nombreux à se servir de cet outil pour faire prospérer différents business : trafic de drogue, prostitution, numéros de cartes bancaires volées, faux documents, et même la vente d’armes.

"Snapchat permet d’échanger des photos et des vidéos de manière extrêmement éphémère (le contenu s’efface automatiquement au bout de quelques secondes, ndlr). C’est ce qui attire les trafiquants : ils peuvent disparaître aussi vite qu’ils sont apparus", explique au micro de Philippe Vandel, dans Culture médias sur Europe 1, Damien Licata, l’un des auteurs de cette enquête. "Les trafiquants sont des entrepreneurs. Ils vont utiliser les outils qu’ils ont à leur disposition, des outils marketing. Ils vont utiliser Snapchat pour faire des ventes flash, présenter leurs produits en quelques photos, en quelques vidéos. Ensuite, ils vont essayer d’attirer l’acheteur potentiel sur une messagerie chiffrée, telle que WhatsApp ou Telegram", poursuit le journaliste. "La délinquance sévit sur ce réseau comme sur aucune autre application auparavant, que ce soit Facebook ou autre, parce qu’il y a ce côté éphémère", précise Florian Loisy, co-auteur de cette enquête, également au micro d’Europe 1.

Trafics en tout genre

En Île-de-France, la plupart des points de vente de stupéfiants font leur promotion sur Snapchat. "Avec l’algorithme de Snapchat, on se retrouve, une fois que l’on a cherché du cannabis, à voir les propositions de tout un tas d’autres vendeurs sur ce réseau", indique Florian Loisy. Jeudi, le rappeur Mister You a été condamné à un an sous bracelet électronique pour avoir fait sur Snapchat la promotion d’un point de vente des environs de Villejuif. "C’est l’un des plus gros points de deal du sud de l’Ile-de-France. Il était vraiment dans le viseur des autorités, parce qu'il y a eu des mats de surveillance cassés sur la voie publique. Alors ce point de deal s’est réfugié sur Snapchat pour être un peu moins localisable, et vendre tout autant, voire plus, car bien au-delà de sa zone géographique habituelle via la livraison."

On peut également trouver sur Snapchat des combines beaucoup plus anodines, comme la revente, pour quelques euros, de codes bancaires volés qui permettent de privatiser des Vélib’. Certains faussaires y font également montre de leur talent. "En Île-de-France, plusieurs milliers de chauffeur VTC circulent avec une carte professionnelle réalisée par des faussaires, qui vendent ses documents sur Snapchat", peut-on lire dans l’enquête du Parisien. "Ça coûte 1.500 ou 2.000 euros, ça dépend du vendeur et de l’offre et la demande", glisse Florian Loisy.

Les petits délinquants à l'abri des poursuites ? 

Interrogé par Le Parisien, l’un des responsables de l’entreprise Snap Inc. assure que Snapchat pratique "une tolérance zéro pour pour les abus relevés". Pourtant, la collaboration avec les forces de l’ordre est délicate. Lorsqu’il s’agit d’un dossier terroriste ou de grande criminalité, l’entreprise répond favorablement, pour un cas sur deux, aux demandes d’informations faites par commission rogatoire internationale, avec l’accord d’un magistrat. Mais le dialogue est inexistant pour les faits de plus petite ampleur, simplement délictuels, tels que le trafic de stupéfiants. "Depuis 2015, il y a eu plus de 400 demandes d’information effectuées par la France, aucune n’a jamais abouti", relève Damien Licata. "Le compte d’un dealer est fermé en 24 heures quand il est signalé. En revanche, il n’y aura jamais de poursuites pénales, ni de divulgation de ses informations personnelles à la police française."