"Gossip". C’est bien sûr une allusion évidente à la série américaine "Gossip Girl", disparue en 2012 des écrans de télévision. Mais c'est aussi cette nouvelle application, disponible sur l’AppleStore depuis deux semaines, et qui laisse libre cours à la rumeur, comme dans la série. Quitte à basculer dans le harcèlement et à inquiéter les associations et syndicats. Elle vient d’être suspendue pour être améliorée.
"Gossip", qu’est-ce que c’est ? Conçue comme un mélange de Snapchat et de Twitter, l’application, gratuite, permet de diffuser une rumeur en moins de 140 signes de manière anonyme et éphémère. Le message s’autodétruit ensuite au bout de 10 secondes. L’utilisateur peut aussi apporter la preuve de la rumeur diffusée via une photo ou une vidéo. L’application a très vite rencontré un vif succès et dépasse aujourd'hui les 60.000 téléchargements.
La créatrice de "Gossip" s’explique. C’est une certaine Cindy Mouly qui est derrière l’application. La jeune parisienne de 25 ans travaille depuis un an sur ce projet et face à la polémique fuit les interviews. Elle a finalement accepté de répondre aux questions d’Europe 1 et avoue d’emblée "qu’elle ne s’attendait pas à cette polémique". Elle assure qu’elle voulait cette application "bonne enfant, sympathique" et raconte en avoir eu l’idée après une expérience personnelle : "la nouvelle fiancée de mon ex était à une soirée et je voulais savoir comment elle était habillée mais je voulais le savoir de manière anonyme bien sûr". Elle-même se dit "choquée, surprise de la perversion de certains utilisateurs" : "l’anonymat ne doit pas permettre la diffamation”. “Je le cris haut et fort, les mineurs n’ont pas à être dessus", poursuit-elle.
Face à la polémique, Cindy Mouly a pris le parti de suspendre l’application le temps de renforcer les conditions d’utilisation. Elle détaille : "l’application, qui était interdite aux moins de 16 ans, le sera désormais aux moins de 18 ans, le log-in sera renforcé, il faudra mettre plus de renseignements, nous aurons aussi un système de modération avec des mots qui ne peuvent pas être acceptés. Enfin, à partir de cinq signalements, la personne utilisatrice sera bannie si elle n’a pas respecté les conditions d’utilisation". Mais comment être certaine qu’un mineur ne puisse pas être en possession de cette application ? Cindy Mouly explique que "juridiquement, elle aura fait tout ce qui doit être fait" et ajoute légèrement fataliste, "un mineur qui veut acheter des cigarettes ou de l’alcool le fera de toute façon".
La colère des associations de lutte contre le harcèlement scolaire. Mais pour les associations de lutte contre le harcèlement scolaire, "Gossip" a déjà fait beaucoup de dégâts et doit être purement et simplement interdite. Contactée par Europe 1, Nora Fraisse, qui a vu sa fille Marion se suicider après avoir été harcelée à l’école, raconte : "j’ai reçu beaucoup de messages de parents inquiets. Une maman m’a expliqué qu’avec ces ragots anonymes, certaines filles étaient en pleurs, d’autres ne voulaient plus sortir de chez elles". "C’est de la cyberviolence", poursuit celle qui a créé l’association Marion Fraisse, la main tendue, "on démocratise les ragots. En plus, les utilisateurs agissent sous couvert d’anonymat. Ils sont comme des snipers, à l’abri de tout".
Même son de cloche du côté de l’association Noélanie présidée par Christine Sené qui a elle aussi perdu sa fille suite à du harcèlement. "A notre connaissance, il n’y a pas encore eu de décès mais nous craignons que cela arrive prochainement", commence-t-elle. "Il y a déjà des parents et des élèves qui nous ont demandé de l’aide. Nous avons eu des cas de harcèlements avec des injures et des menaces et même des agressions". Christine Sené se souvient de cette enfant de 13 ans qui a refusé les avances sexuelles d’un garçon. Celui-ci a alors propagé la rumeur, via l’application, selon laquelle celle qui avait refusé ses avances était une fille facile. Malgré la gravité de ces faits, Christine Sené est plutôt pessimiste quant à l’interdiction de l’application : "rien ne va être fait pour l’interdire", dit-elle.
Les syndicats de lycéens montent au créneau. De leur côté, les associations de lycéen ont eux aussi réclamé l’interdiction de l’application. Ils affirment à l’AFP que la plateforme a induit un climat malsain dans plusieurs établissements scolaires. "L’objectif de cette plateforme n’est pas de jouer mais bien de nuire aux autres", déclare dans un communiqué la FIDL (la Fédération indépendante et démocratique lycéenne). "Nous condamnons cette application, qui doit être interdite", renchérit Eliott Nouaille, président du Syndicat général des lycéens.
La réaction de Najat Vallaud-Belkacem. La ministre de l'Education, Najat Vallaud-Belkacem, a appelé mercredi "à une extrême vigilance sur la teneur des messages qui seraient mis en ligne" sur "Gossip". Dans un communiqué, elle demande aux recteurs d'académie, avec l'aide des chefs d'établissement des lycées et collèges, de signaler aux procureurs de la République "tous propos injurieux ou diffamatoires proférés à l'encontre d'élèves ou de personnels". Selon elle, "la réouverture de cette application pourrait venir affecter un climat serein au sein des établissements".
Que dit la loi ? L’application est-elle légale ? Existe-t-il réellement des recours pour l’interdire ? Europe 1 a posé la question à Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris et auteur d’un post sur la question. "Cette application est une première en France car son objet même est de créer la rumeur", explique l’avocat. "On a un outil qui est 'une fourniture de moyens' au harceleur". Pour celui-ci, "l’application est clairement border-line et pourrait tomber sous le coup de la loi d’août 2014 sur le harcèlement au moins au titre de la complicité de harcèlement". Un juge pourrait donc tout à fait prononcer un référé visant à interdire l’application. C'est l’éditrice de la plateforme qui serait alors responsable au titre de "complice pour harcèlement". Concernant l’auteur lui-même, il y aurait une difficulté pour l’incriminer, celui de la preuve, car l’application repose sur l’anonymat mais nuance l’avocat, "on garde toujours des traces numériques".