François Hollande passe le flambeau à Emmanuel Macron. Dimanche, le chef de l’Etat sortant donnera officiellement les clés de l’Elysée à son successeur. Et parmi les dossiers brûlants que le nouveau président de la République aura à gérer, on trouve l’immigration. Le sujet a occupé l’espace médiatique pendant la campagne présidentielle, notamment porté par la finaliste, défaite au second tour, Marine Le Pen. Mais quel bilan laisse vraiment François Hollande ? Accusé, à sa droite, de n’avoir pas empêché une immigration massive durant son quinquennat, que disent vraiment les chiffres ? Accusé par les associations comme la Cimade d’avoir laissé se développer une politique "répressive et stigmatisante", quelles sont vraiment les mesures prises par le chef de l’Etat sortant ? Europe 1 fait le bilan.
Un discours qui a évolué. Le chef de l’Etat s’est, officiellement, assez peu exprimé sur le sujet. Durant son quinquennat, il n’a consacré qu’un seul grand discours à cette question en tant que telle, le 15 décembre 2014, lors de l’inauguration du Musée de l’Histoire de l’immigration, à Paris. Le président de la République parlait alors de l’immigration comme d’une "force" et en appelait à "rendre aux immigrés la place qui leur revient" dans l’Histoire de France. "Je veux rappeler aux Français d'où ils viennent, quelles sont les valeurs qu'ils portent comme citoyens français et où nous voulons aller ensemble", lançait-il, rappelant qu’un Français sur quatre venait d’une famille issue de l’immigration. Mais il y a ce qui se dit face caméra, et le reste. Selon le livre Un président ne devrait pas dire ça, le chef de l’Etat "pense qu'il y a trop d'arrivées, d'immigration qui ne devrait pas être là". "Il y a à la fois des choses qui marchent très bien et l'accumulation de bombes potentielles liées à une immigration qui continue. Parce que ça continue", aurait-il encore confié aux journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme, qui l’ont interrogé en juillet 2014, soit quelques mois avant le discours prononcé au Musée de l’Histoire de l’immigration.
" Il y a une immigration illégale tolérée dans un certain nombre de secteurs économiques. Ce ne sera plus le cas "
Au fait, qu’avait-il promis ? Au-delà des discours, il y a les mesures concrètes. Le projet présidentiel du candidat François Hollande, en 2012, ne contenait que quelques lignes sur le sujet. "Je conduirai une lutte implacable contre l’immigration illégale et les filières du travail clandestin. Je sécuriserai l’immigration légale. Les régularisations seront opérées au cas par cas sur la base de critères objectifs", pouvait-on lire dans son programme. Sur TF1, le 24 avril 2012, le candidat socialiste d’alors avait un peu précisé ses pensées. S’il percevait l’immigration étudiante comme une "chance", il condamnait dans le même temps l’immigration illégale. "Cela ne peut pas être accepté", déclarait-il. Il décrivait une immigration économique comme étant "difficile à solliciter" en période de chômage fort et prônait une politique de régularisation "au cas par cas", avec des critères "beaucoup plus clairs" et identiques pour chaque préfecture.
Aussi, le candidat promettait mordicus de s’en prendre aux entreprises qui font venir des travailleurs étrangers illégalement. "Il y a une immigration illégale tolérée dans un certain nombre de secteurs économiques. […] Ce ne sera plus le cas. […] Je n'accepte pas que l'on fasse venir des étrangers pour ensuite se plaindre qu'ils sont sur notre territoire alors qu'ils sont venus parce qu'un certain patronat l'a décidé", dénonçait-il.
Qu’a-t-il vraiment mis en place ? Ces promesses dans l’ensemble assez vagues ont été traduites par plusieurs mesures concrètes. Parmi les plus marquantes : la suppression de la circulaire dite "Guéant", qui empêchait les étudiants étrangers hors union-européenne de se voir renouveler leur titre de séjour après leurs études, le démantèlement de la "Jungle de Calais" ou encore la création d’environ 20.000 places supplémentaires dans des centres d’accueil et d’orientation (CAO) ainsi que le retour du juge des libertés et de la détention pour contrôler les actes policiers dans les centres de rétention.
La circulaire Valls de 2012 sur les régularisations ou la réforme du droit d’asile, votée à l’été 2015, ont également - comme l’avait promis le candidat Hollande - permis de "clarifier" les procédures de traitement des dossiers des demandeurs d’asile. Les préfectures ont désormais obligation de respecter un "délai moyen" de neuf mois pour l’examen des dossiers, les demandeurs sont systématiquement assistés d’un avocat et les équipes administratives doivent faire une réelle enquête sur l’intégration du demandeur où sur son degré de "vulnérabilité".
La réforme du droit d’asile a également acté la création d’un "titre de séjour pluriannuel". En clair, les étrangers présents sur le sol français depuis plus d’un an (hors étudiants et étrangers présents pour des raisons de santé et familiales) peuvent désormais renouveler leur titre de séjour pour deux à quatre ans, contre seulement quelques mois auparavant. En contrepartie, les préfets ont désormais le pouvoir de consulter les comptes en banque ou les données de Sécurité sociale des détenteurs de ces titres de séjours. L’esprit de la loi : donner plus de droits, mais renforcer les contrôles.
Résultats : la France accueille davantage… Mais ne remplit pas ses objectifs. Sur quoi ces mesures ont-elles débouché ? La "clarification" apportée par la circulaire Valls et la réforme du droit d’asile n’a ni entraîné de hausse massive des acceptations sur le territoire, ni limité le flux migratoire. Depuis l’élection de François Hollande, le nombre des délivrances de titres de séjour n’a cessé d’augmenter : de 193.000 en 2012 (chiffre qui était stable depuis 2009), on est passé à 227.000 en 2016, selon le ministère de l’Intérieur. Mais cela s’explique en partie par une hausse des demandes d’asile : de 61.000 demandes en 2012, on est passé à 85.000 l’an dernier, avec notamment un boom de 22% en 2015.
Les titres de séjour pour motif humanitaire ont largement contribué à la hausse totale des admissions : de 18.000 dossiers acceptés en 2012, on est passé à 32.000 en 2016. Toutefois, la France n’a accueilli que 7.000 réfugiés syriens et irakiens, sur les 30.000 promis à l’Union européenne en 2015. L’immigration familiale reste, de loin, le premier motif d’admission sur le territoire. Malgré un léger recul l’an dernier (-2,3%), elle est passée de 87.000 dossiers acceptés en 2012 à 88.000 aujourd’hui, avec un pic à 93.000 en 2013.
L’immigration économique, pourtant "difficile à solliciter" selon le candidat Hollande, a elle aussi augmenté : + 6.000 dossiers acceptés en quatre ans, ce qui porte le total à 22.000. L’acceptation des étudiants étrangers sur le territoire, qualifiée de "chance" en 2012 par le candidat socialiste, a quant à elle bel-et-bien augmenté : de 58.800 dossiers d’étudiants étrangers acceptés en 2012, on est passé à 70.200 aujourd’hui.
" Ces centres sont utilisés pour gérer les ‘indésirables "
Quid de l’immigration illégale et des reconduites ? L’immigration illégale, elle, est difficile à évaluer, car les sans-papiers ne sont enregistrés nulle part. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que le nombre de reconduites à la frontière a baissé, alors que le nombre de demandeurs d’asile déboutés augmente (+ 10.000 entre 2012 et 2015). En 2016, seuls 12.900 éloignements forcés ont été effectués en 2016, soit le plus bas niveau depuis 2010.
Quant au travail au noir, que promettait de pourfendre François Hollande, il représenterait encore 10,8% du PIB Français et 7% des entreprises y auraient encore recours, selon une étude du Conseil économique, social et environnemental (Cese) parue en 2014. La lutte contre le travail dissimulé s’est, toutefois, grandement accélérée depuis le début du quinquennat. L'Agence centrale des organismes de Sécurité Sociale (l’Acoss) a renforcé ses effectifs d’inspecteurs, multiplié les contrôles aléatoires et ciblé les entreprises avec plus de précision, comme elle le détaillait en 2014 dans un rapport. Résultat : en 2015, le montant des sanctions contre les entreprises atteignait 460 millions d’euros, un record absolu.
Encore trop d’enfermements (y compris d’enfants). Mais la principale critique émise par les associations de défense de réfugiés concerne la politique d’enfermement. Avant d’être expulsés du territoire, les migrants sont en effet confinés dans un centre ou un local de "rétention administrative". Or, selon une vaste enquête publiée récemment par la Cimade et quatre autres associations, seules 46% des personnes enfermées dans ces centres sont ensuite éloignées du territoire. En clair, le gouvernement enferme encore trop de gens hors de tout cadre légal.
"Ces centres ne sont pas seulement utilisés pour leur fonction ‘classique’ d’antichambre de l’expulsion, mais aussi pour dissuader les personnes migrantes, pour gérer les ‘indésirables’", dénonce l’association qui lutte pour les droits des migrants. La Cimade déplore, enfin, la présence jugée encore trop nombreuse de mineurs dans ces centres de rétention. Selon l’association, dans l’Hexagone, pas moins de 176 mineurs auraient été placés en rétentions administratives avant leur expulsion, malgré la promesse de François Hollande de mettre fin à cette pratique en 2012 et de la remplacer par des assignations à résidence. A Mayotte, ce chiffre serait même 30 fois plus élevé.