Alors que Tisséo, le réseau de transports en commun de Toulouse, se mobilise depuis deux ans pour sensibiliser usagers et chauffeurs aux agressions sexuelles, un témoignage vient semer le trouble. Une jeune Toulousaine, harcelée sexuellement dans le bus, affirme ne pas avoir reçu d'aide du conducteur.
Des avances sexistes. Eva a 16 ans. Vendredi soir, peu avant 19 heures, elle téléphone à sa mère, en sanglots. Eva vient de subir le comportement déplacé d'un homme dans le bus, en rentrant du lycée. Encore sous le choc, elle parvient à lui raconter les faits. "Un homme se tenait en face de moi, debout, entouré de plein de personnes. Il a commencé à me proposer de sortir avec lui", témoigne la jeune fille, jointe par Europe 1.fr mardi. "Je lui ai exprimé mon refus catégorique, je lui ai dit que je n'étais pas intéressée. Mais il a continué avec des blagues sexistes. Il m'a dit : 'T’es belle, mais pas du visage. Non, je rigole, tu es une très belle femme'", se souvient la lycéenne.
"Il voulait inverser la culpabilité". Eva tente d'abord de l'ignorer. "J'essayais de passer outre. Puis il a commencé à tâter son pantalon. Il a sorti une bouteille, et a défait les premiers boutons de sa braguette. "J'ai tout de suite détourné le regard. Je ne voulais pas voir ça. J'ai commencé à lui dire qu'entre ses remarques et son comportement, c'était vraiment désobligeant, et que j'allais prévenir le chauffeur", rapporte Eva. La jeune fille raconte qu'à ce moment, l'homme se met à parler très fort. "Il m'a dit : 'Pourquoi tu regardes ma braguette ?' Il voulait attirer l'attention des passagers sur moi, et inverser la culpabilité."
Un comportement signalé au chauffeur du bus. L'adolescente suit alors à la règle les consignes édictées par la nouvelle campagne de sensibilisation au harcèlement dans les transports, mise en place par Tisséo. Des affiches sont collées dans le bus, et des messages de prévention sont diffusés sur les écrans d'information. Ils demandent à toute personne se sentant victime d'actes inappropriés de signaler le méfait à l'agent Tisséo. Eva s'approche donc du chauffeur. "Je lui ai dit que j'étais mineure et qu'un homme venait d'ouvrir sa braguette devant moi", relate l'adolescente. Le conducteur lui aurait alors répondu qu'une femme s'était également plainte d'insultes de la part de ce même passager, mais qu'il ne pouvait rien faire, qu'il lui était impossible d'arrêter le bus et de quitter sa place. "Je pensais que mon agresseur allait passer un sale quart d’heure, et en fait non. En tant que victime, on est complètement décrédibilisée", se désole Eva. "Écœurée", elle qualifie aujourd'hui la campagne de sensibilisation de Tisséo "d'hypocrite".
Tisséo a lancé cette campagne anti-harcèlement dans les transports en commun, début mars.
Mère et fille en colère. Eva et sa mère s'indignent également du comportement du chauffeur. "Un autre passager lui a même dit que si je m'étais fait agresser, il l'aurait eu sur la conscience. Ce à quoi le chauffeur a répondu que lui aussi aurait pu se faire agresser par cette même personne", rapporte la lycéenne, éberluée. Le conducteur lui aurait conseillé d'appeler Tisséo, de porter plainte, mais sans lui fournir de numéro de téléphone. En larmes, Eva finit par quitter le bus et rentrer chez elle à pied.
Une enquête interne ouverte à Tisséo. Stephanie Lamy, militante féministe au sein du Collectif Abandon de famille - Tolérance Zéro, est une personnalité très suivie sur les réseaux sociaux. Après avoir eu sa fille au téléphone, elle décide de poster un message de colère sur Twitter, et interpelle directement Tisséo. La publication est partagée plusieurs milliers de fois. "Je me suis exprimée sur Twitter car je n’avais pas d’autre canal pour le faire. Je suis restée 25 minutes au téléphone vendredi soir avec la plateforme Tisséo, tout ça pour entendre qu’il fallait remplir un formulaire", s'agace-t-elle. Très vite, le président de Tisséo, Jean-Michel Lattes, lui répond qu'une enquête interne est ouverte.
" Les chauffeurs n'ont pas reçu de formation spécifique sur les problèmes de harcèlement "
Les chauffeurs formés, vraiment ? Selon la CGT-Tisséo, la responsabilité du chauffeur est loin d'être établie dans cette affaire. Interrogé par France Bleu, le responsable adjoint du syndicat, Guy Daydé, explique : "Quand la jeune fille l'a prévenu, l'homme était en train de descendre du bus et il était donc trop tard pour utiliser le bouton d'appel, qui sert à alerter le campus de Tisséo en cas d'agression." Il souligne par ailleurs que les chauffeurs "n'ont pas reçu de formation spécifique sur les problèmes de harcèlement". Le 6 mars dernier, lors de la présentation de la campagne contre le harcèlement, Julie Escudier, conseillère municipale et membre du Comité consultatif égalité hommes-femmes de Toulouse, assurait pourtant à La Dépêche du Midi que la municipalité "avait fait en sorte que le personnel Tisséo soit formé pour détecter les comportements déviants dans les transports publics et puissent accompagner les victimes dans leur dépôt de plainte."
Contactée par Europe 1, la direction de Tisséo précise que ces formations spécifiques au harcèlement sexuel, sont en train d'être déployées, en complément des stages de gestion des situations conflictuelles "classiques". Mais cela prend du temps. "Il y a plus de 2.000 personnes à Tisséo, ce sont autant de personnels à former", indique-t-elle.
Une plainte déposée contre X. Mère et fille ne veulent cependant pas en rester là et sont allées porter plainte contre X au commissariat de Toulouse mardi après-midi. "Ainsi, on pourra avoir accès aux bandes de vidéosurveillance du bus. Cela nous permettrait d’identifier l’agresseur, mais aussi de voir quelle a été précisément l’attitude du chauffeur", avance Stephanie Lamy. Toutes deux avaient rendez-vous avec la direction de la société de transports mardi. Le chauffeur, lui, a été entendu lundi. "L'instruction est en cours", a simplement indiqué à Europe 1 la direction de Tisséo, mardi soir.
Assurer la sécurité de tous les voyageurs. En 2017, 38 agressions sexistes ont été signalées dans les transports du réseau Tisséo, et ce malgré une première campagne de sensibilisation au harcèlement. Un chiffre que l'entreprise elle-même juge largement sous-estimé. "Dans une seule journée, dans un seul bus, il y a eu mon agression et celle de l'autre femme insultée", souligne de son côté Eva. "Nous, les femmes, on paie un service au même prix que les autres, on est donc en droit de voyager avec les mêmes conditions de sécurité. Cet exemple n’est peut-être pas le plus grave, mais ça arrive quotidiennement et ce n’est pas normal", complète sa mère.
Stephanie Lamy réclame désormais la mise en place d'un protocole pour aider les victimes de harcèlement ou d'agressions sexuelles dans les transports, ainsi qu'un accompagnement psychologique et judiciaire. Elle prévient : "si la CGT se borne à défendre le chauffeur avant même la fin de l'enquête interne, nous, collectifs féministes, allons monter au créneau."