Paris Match pouvait-il ou pas publier la photo d'Abdelkader Merah, prise dans le box des accusés le 2 novembre dernier, jour du verdict ? Depuis la sortie du dernier numéro de l'hebdomadaire, ce choix éditorial fait polémique. L'Association de la presse judiciaire a notamment indiqué condamner "fermement" la publication.
Sur la photo, on aperçoit l'homme condamné à 20 ans de réclusion criminelle pour association de malfaiteurs terroriste, accoudé dans le box des accusés, derrière ses avocats Antoine Vey et Éric Dupond-Moretti. Jeudi, une enquête a été ouverte par le parquet de Paris et confiée à la police judiciaire. Elle tentera notamment de déterminer qui est l'auteur de ce cliché.
En matière de prise de son ou d'image, qu'a-t-on le droit de faire lors d'un procès ? Explications.
Qu'est-il reproché à Paris Match ?
Le choix de l'hebdomadaire pose deux problèmes aux yeux de la loi. Me Eric Dupont-Moretti, avocat d'Abdelkader Merah, a fait valoir sur RTL que la publication de cette photo allait à l'encontre du simple "droit à l'image". "Moi je me retrouve aussi sur cette photo, on ne m'a pas demandé mon avis mais j'ai aussi un droit à l'image", a-t-il souligné. En effet, il n'est possible de diffuser une photographie représentant une personne se trouvant dans un lieu privé qu'avec son autorisation. Or, dans ce cas précis, aucune demande d'autorisation n'a été formulée aux protagonistes présents sur ce cliché.
Cette loi peut être contrebalancée par le droit à l'information, argument invoqué par Paris Match pour justifier sa décision. "La liberté de la presse implique le devoir d'informer l'opinion, les victimes. (…) Nous revendiquons de faire notre métier", a fait valoir Philippe Cohen-Grillet, journaliste du magazine, dans un post sur Facebook. "Nous n'avons pas pris nous-mêmes ces photos et nous ne les avons pas achetées, assure-t-il. Nous nous sommes retrouvés avec ce matériel et nous avons décidé de les publier pour leur portée historique. Nous assumons totalement, c'est un choix délibéré", a par ailleurs soutenu Régis Le Sommier, directeur adjoint du magazine, interrogé par 20 Minutes.
Mais surtout, ce cliché a été pris en dépit de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui dispose que tout enregistrement de son ou d'image est interdit dans l'enceinte d'un tribunal. Et c'est bien là le point de friction entre l'Association de la presse judiciaire, les avocats de la défense, et Paris Match. Dès lors, le magazine risque 4.500 euros d'amende.
Dans quel cadre a-t-on le droit de filmer une audience ?
Selon l'article 38 ter de la loi sur la liberté de la presse, en vigueur le 1er janvier 2002, "l'emploi de tout appareil permettant d'enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l'image est interdit. Le président fait procéder à la saisie de tout appareil et du support de la parole ou de l'image utilisés en violation de cette interdiction. (…) Toutefois, sur demande présentée avant l'audience, le président peut autoriser des prises de vues quand les débats ne sont pas commencés et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent". Dans ce cas, le prévenu peut, par exemple, demander à être flouté.
Plusieurs raisons expliquent l'application de ces règles strictes. Elles tiennent essentiellement à la protection de la défense, le législateur voulant éviter ainsi de troubler "la sérénité et la dignité des débats". On imagine assez bien que l'installation de dizaines de caméras de télévision peut être perturbante pour la bonne tenue d'un procès. La question du respect de la présomption d'innocence de l'accusé se pose également. Pour rappel, jamais, en France, un procès pour terrorisme n'a été filmé.
Lors des procès d'assises, seuls les dessinateurs judiciaires sont donc autorisés à représenter le ou les prévenu(s).
Existe-t-il des exceptions à la règle ?
Depuis la loi Badinter de 1985, l'enregistrement audiovisuel peut être autorisé dans de très rares cas, lorsque le procès revêt une "dimension événementielle, politique ou sociologique", et que cet enregistrement mérite d'être conservé "pour l'Histoire". Cet argument a été invoqué par trois familles de victimes, en amont de l'ouverture du procès d'Abdelkader Merah. Me Morice, avocat de la partie civile, expliquait à l'époque sur France Info qu'il était "important (…) que les générations futures puissent savoir exactement ce qu'il s'est passé, la nature des débats, les enjeux de ce procès", car cette affaire "est marquante dans l'histoire du terrorisme." La requête des familles a été finalement rejetée par la Cour d'appel.
Depuis l'application de cette loi, seuls cinq procès ont été filmés en France : ceux de Klaus Barbie (1987), Paul Touvier (1994), Maurice Papon (1997), des disparus sous Pinochet (2011) et de la catastrophe AZF (2017).
Et à l'étranger, comment ça se passe ?
Si la législation est particulièrement restrictive en France, ce n'est pas le cas partout. Certains pays ont même fait de leurs grands procès des "shows" médiatiques, suivis quotidiennement par des centaines de milliers de téléspectateurs. Aux Etats-Unis, rien ne s'oppose à la captation vidéo d'un procès d'assises, et ce depuis les années 80. Ainsi, on se souvient du ramdam suscité, au milieu des années 90, par la retransmission en direct du procès d'O.J. Simpson, ancienne gloire du football américain, condamné pour le double-meurtre de son ex-compagne et de l'ami de celle-ci. Une caméra était alors présente en continu pour filmer les débats, permettant au public d'être mieux informé que les jurés. Inimaginable en France.
Signalons aussi qu'aux Etats-Unis, plusieurs chaînes de télévision sont spécialisées dans la retransmission des procès. Dans la même veine, en Afrique du Sud, une chaîne de télévision a été créée spécialement pour diffuser en direct le procès d'Oscar Pistorius, le médaillé d'or paralympique condamné pour le meurtre de sa compagne. La direction n'a rien caché de sa ligne éditoriale, en nommant tout naturellement le canal "La Chaîne du procès d'Oscar".