C'est un rapport très attendu qui a été remis mardi au gouvernement. Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), qui a coordonné les État généraux de la bioéthique depuis plusieurs mois, a rendu une synthèse de ces vastes débats. Ce document, sur lequel l'exécutif va s'appuyer pour procéder à d'éventuelles révisions de loi ou écritures de nouveaux textes, s'intéresse à de nombreux sujets comme les neurosciences, le don d'organes, les tests génétiques, la fin de vie ou la procréation médicalement assistée (PMA). Et ce dernier est au cœur de vives polémiques.
En effet, la PMA est aujourd'hui réservée aux seuls couples hétérosexuels en cas d'infertilité médicale. Emmanuel Macron avait promis, lorsqu'il était candidat à la présidentielle, qu'il l'ouvrirait aux couples de femmes et aux femmes seules. Un an après son élection, lesbiennes, militants et militantes pour les droits LGBT mais aussi femmes seules qui auraient pu prétendre à la PMA regrettent un attentisme qui vire à l'immobilisme.
Une promesse claire. L'onglet "familles et société" du programme en ligne du candidat Macron ne laisse pourtant aucune place au doute. "Nous sommes favorables à l'ouverture de la procréation médicalement assistée pour les femmes seules et les couples de femmes", est-il écrit. "Il n'y a pas de justification juridique pour que la PMA ne soit pas ouverte" à toutes les femmes. Le candidat En marche! précisait déjà néanmoins qu'il allait "attendre l'avis du CCNE", afin d'assurer dans la société un vrai débat, pacifié et argumenté".
" C'est épouvantable. On a déjà vécu la même situation sous Hollande, avec des engagements jamais concrétisés. "
Attentisme. Or, cet avis est tombé il y a près d'un an. Dès le 27 juin 2017, le Comité s'était dit favorable à l'ouverture de la PMA à toutes les femmes. Mais cela ne s'est pas traduit en acte et en production d'un projet de loi. En avril 2018, alors qu'il s'exprimait devant des représentants de l'Église catholique au collège des Bernardins, à Paris, Emmanuel Macron admettait qu'il avait "décidé que l'avis du CCNE n'était pas suffisant, et qu'il fallait l'enrichir d'avis de responsables religieux".
Calendrier flou. En outre, l'exécutif s'est montré flou sur l'échéance à tenir. En septembre 2017, Marlène Schiappa certifiait qu'un élargissement de la PMA ferait "probablement" l'objet d'une loi en 2018. Mais la secrétaire d'État en charge de l'égalité entre les hommes et les femmes ne précisait rien quant au calendrier de l'entrée en vigueur de la mesure, se contentant d'assurer que "la PMA sera adoptée avant la fin du quinquennat, c'est un engagement du président".
Bis repetita. Largement de quoi doucher les espoirs des femmes, lesbiennes mais pas que, et des hommes qui militent pour l'ouverture de la PMA. "C'est épouvantable", confie ainsi Alice Coffin, membre de la Conférence européenne Lesbienne. "On a déjà vécu la même situation sous les différents gouvernements Hollande, avec des engagements, des promesses qui ne se sont jamais concrétisés." L'extension de la PMA était en effet initialement promise avec le mariage pour tous. Finalement, ce volet du projet de loi avait été jeté à la poubelle.
Voix discordantes. Des voix dissonantes au sein de la majorité sont venues s'ajouter à la timidité ambiante. Dès septembre, Gérard Collomb estimait qu'étendre la PMA à toutes les femmes "pose sans doute un certain nombre de problèmes". Evoquant des "lois sensibles qui peuvent heurter les consciences", le ministre de l'Intérieur appelait de ses vœux des "garde-fous" et rappelait qu'il ne s'agissait pas, selon lui, de sujets urgents. "Pour moi, la priorité est toujours économique et sociale. Je proposerai que l'on puisse résoudre le problème du chômage avant de s'attaquer aux problèmes civilisationnels." À l'inverse, aucune voix gouvernementale n'est venue s'exprimer avec force en faveur de l'engagement présidentiel sur la PMA.
"Violence terrible". Pour Alice Coffin, la méthode employée par le gouvernement actuel, qui prône dialogue et concertation pour éviter toute crispation de la société, est "d'une violence terrible" pour les premières concernées, les couples de lesbiennes et les femmes seules. "En gros, on nous explique qu'on va débattre de nos vies et qu'on a le temps. Mais c'est un luxe de pouvoir dire ça. Pour certaines femmes, quatre ans d'attente, ce sont des enfants qu'elles n'auront jamais. Sans compter qu'on a bien vu qu'attendre contribuait surtout à libérer la parole homophobe et lesbophobe."
Débats sans lesbiennes. Enfin, les consultations organisées sont également très critiquées car elles n'incluent pas, ou peu, les personnes directement concernées. Selon La Croix, Emmanuel Macron a organisé un dîner le 23 mai avec des experts, médecins, militants ou encore représentants du clergé ou d'associations religieuses. Le sujet de la PMA a occupé une bonne part des débats entre 17 personnes, "dont 14 hommes et zéro lesbienne", regrette Alice Coffin. "Pourquoi ne pas organiser un dîner de lesbiennes au lieu de consulter des prêtres ?" Cette journaliste et militante reconnaît volontiers qu'une extension de la PMA augure un changement de société majeur. "Mais le problème n'est pas tant la société qui change que le fait qu'elle était jusqu'ici fondée sur des lois qui avantageaient certains et discriminaient les autres. Il s'agit d'enlever des discriminations, cela ne devrait pas susciter autant de débats."