Qui pour reconstruire Notre-Dame de Paris ?

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Si la France dispose des savoirs-faire nécessaires, l'ampleur du chantier de rénovation qui s'annonce laisse craindre à de nombreux spécialistes du secteur une pénurie de main-d'oeuvre.
ON DÉCRYPTE

Le défi s'annonce cyclopéen : rendre à Notre-Dame de Paris sa toiture et sa flèche, balayées lundi par les flammes, et rebâtir la voûte écroulée. Dans son allocution télévisée mardi soir, Emmanuel Macron, se posant en rassembleur d'une France meurtrie, en a fait un projet partagé à l'échelle de la nation, ajoutant une contrainte supplémentaire. "Nous rebâtirons la cathédrale plus belle encore et je veux que ce soit achevé d’ici cinq années", a-t-il déclaré.

Le délai semble difficile à tenir quand de nombreux experts du patrimoine, au vu des dégâts considérables, misent davantage sur une décennie de travaux. "Une restauration entre dix et quinze ans me semble raisonnable", a estimé auprès de l'AFP Frédéric Létoffé, l’un des deux présidents du Groupement des entreprises de restauration de monuments historiques. Cette estimation rejoint notamment celle faite par Stéphane Bern, en charge de la "mission patrimoine". Les historiens estiment que la pause de la charpente qui a disparu lundi s'est étalée sur vingt ans, entre 1220 et 1240. Certes, les bâtisseurs du 21ème siècle disposent de technologies autrement plus performantes que ceux du 13ème, mais l'on imagine sans peine que tenir le calendrier fixé par le chef de l'État, tout en préservant la qualité historique du monument, nécessitera un savoir-faire pointu et, surtout, une main-d'oeuvre considérable.

Des métiers en manque de recrues

"Vu l'ampleur présumée des travaux, quasiment l'intégralité des corps de métiers devra intervenir. Il y aura évidemment des travaux sur la pierre, de charpente, de métallerie, les installations techniques, comme l'électricité, l'éclairage, la couverture…", a estimé dans un entretien à l'AFP Éric Fischer, directeur de la Fondation de l'Œuvre Notre-Dame, en charge de la Cathédrale de Strasbourg. De son côté, Jean-Claude Bellanger, secrétaire général des Compagnons du devoir, avance un chiffre de 450 ouvriers mobilisés pour les seules parties concernant le gros œuvre. "Pour le chantier de reconstruction, il faudrait que, dès septembre, nous recrutions en apprentissage 100 tailleurs de pierre, 150 charpentiers et 200 couvreurs", a-t-il déclaré mardi après une rencontre avec la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. Actuellement, "les Compagnons du devoir forment chaque année environ 1.000 charpentiers, 700 couvreurs et 450 tailleurs de pierre".

Ces 16 statues de Notre-Dame ont été sauvées par hasard... 

Ces chiffres sont trop faibles selon Jean-Claude Bellanger, qui craint qu'un chantier de cette ampleur vide les autres sites en cours de rénovation de leurs travailleurs. "On a les entreprises qui ont les compétences pour la reconstruction mais on a un manque cruel de jeunes sur ces métiers", pointe-t-il. Pour éviter que Notre-Dame ou d'autres monuments en péril, si priorité est donnée à la cathédrale, ne pâtissent d'un manque de bras, les secteurs concernés, souvent peu valorisés, vont donc devoir trouver un moyen de recruter massivement. "Le prestige du chantier de la reconstruction [pourrait] améliorer l'image de ces métiers manuels", espère Jean-Claude Bellanger. Pour la taille de pierre, la France ne possède que deux centres de formation d'apprentis. Un jeune qui y entre à l'âge de 16 ans peut compter en sortir six ans plus tard avec une licence.

La France pourrait donc être contrainte à aller chercher des artisans au-delà de ses frontières. "Trouver suffisamment d'artisans capables de travailler la pierre, le bois, le plomb, le verre [...] est un défi pour le secteur dans toute l'Europe", selon Francis Maude, directeur du cabinet d'architectes Donald Insall Associates, qui a participé à la reconstruction du château de Windsor après l'incendie de 1992. Cette pénurie, conjuguée à la durée nécessaire pour former correctement les artisans, pourrait bien imposer au chantier un tempo autre que celui voulu par le président de la République, mais aussi influer sur les choix de rénovation qui seront faits.

Avec quels matériaux ?

Le problème d'une main d'œuvre suffisamment qualifiée est également à relier à la question des matériaux. La "forêt" qui soutenait la toiture de plomb de Notre-Dame, intégralement réduite en cendres, avait été taillé dans 1.300 chênes. "Il n'y a pas en France des stocks de bois déjà sciés disponibles pour un tel chantier", s'est alarmé auprès de l'AFP Sylvain Charlois, le dirigeant de Groupe Charlois, premier producteur français de bois de chêne. Rebâtir la charpente nécessitera un approvisionnement en bois à hauteur de "probablement un millier d'arbres", selon Michel Druilhe, président de l’Interprofession France Bois Forêt, invité de La France bouge sur Europe 1. Et des arbres d'au moins deux mètres de diamètre, c'est-dire plantés au 19ème siècle, afin d'obtenir des poutres de proportions similaires à celles qui ont disparues lundi.

Toutefois, les restaurateurs pourraient opter pour un nouveau type de structure, potentiellement plus légère à supporter pour les murs de la cathédrale, qui accusent le poids des siècles et que l'incendie a encore fragilisés par endroits selon les premières constatations. Dans ce cas, d'autres corps de métiers, qui n'existaient pas à l'époque du Moyen Âge, pourraient intervenir, semblables à ceux qui ont supervisé les reconstructions des toitures de la cathédrale de Reims, bombardée en 1914, et de Nantes, détruite par un incendie en 1975. À chaque fois, des charpentes en béton ont été installées. Ce choix incombera à d'autres professionnels : historiens, spécialistes du Moyen Âge et architectes du patrimoine, qui devraient également être mobilisés en nombre pour dresser le plan de rénovation du sanctuaire meurtri.