Faut-il changer l'implantation des tribunaux sur le territoire français ? Pour le gouvernement, la réponse est oui. Dix ans après la dernière vaste modification de l'organisation territoriale de la justice, initiée par l'ancienne garde des Sceaux Rachida Dati en 2007, le complexe maillage de la carte judiciaire devrait à nouveau évoluer au cours du quinquennat d'Emmanuel Macron, qui en avait fait une promesse de campagne. Après des mois de consultation, la future réforme a vu sa première pierre posée lundi, avec la remise à la ministre Nicole Belloubet de pistes de réflexion pour le gouvernement. Europe1.fr fait le point.
- Qu'a promis Emmanuel Macron ?
La promesse concerne en premier lieu les 36 cours d'appel de France. Ces dernières n'ont jamais été adaptées à la réforme territoriale de 2016 - qui a réduit le nombre de régions métropolitaines de 21 à 12. Plusieurs d'entre elles recoupent donc deux, voire trois régions administratives, sans pour autant en couvrir une complètement. "La plupart de leurs ressorts ne coïncident ni avec les services interrégionaux du ministère de la Justice, ni avec les régions administratives, conduisant à différents chevauchements de compétences territoriales", diagnostique le rapport remis à Nicole Belloubet lundi.
Pour les cours d'appel : Dans la partie de son programme consacré à la justice, Emmanuel Macron s'est engagé à modifier leur implantation "afin qu'aucune ne soit à cheval sur plusieurs régions administratives et qu'aucun département ne dépende d'une cour qui ne soit pas dans la même région que lui."
Pour la première instance : Concernant la première instance, un autre point du programme du candidat, plus flou, prévoyait la création, dans chaque département, d'un tribunal "qui fusionnera l'ensemble des tribunaux locaux spécialisés", pour "mettre fin à la complexité des compétences". Comme pour les cours d'appel, la promesse s'accompagnait de la garantie qu'aucun site judiciaire ne serait fermé.
- Quelles sont les pistes sur la table ?
Dans le rapport sur leur "chantier de la justice", Dominique Raimbourg et Philippe Houillon posent une liste de "principes directeurs"' qui devraient guider la réforme que le gouvernement espère faire adopter cet été. "Certaines exceptions demeureront nécessaires au regard des spécificités des territoires : étendue géographique, densité de population volume de contentieux, activités économiques du ressort, etc.", notent-ils cependant.
Pour les cours d'appel : Les auteurs envisagent bien de "mettre en cohérence" l'organisation judiciaire avec l'échelon administratif régional, "sauf cas exceptionnel" : ils proposent donc que dans chaque région, une cour d'appel se voit attribuer un rôle de "coordination et d'animation régionale", correspondant directement avec les autres services de l'État.
Quid des autres ? Certaines n'évolueraient pas, comme dans le cas de l'Île-de-France, qui "ne saurait absorber l'ensemble des contentieux de ce territoire sur le seul site parisien, dont la taille critique semble largement dépassée, justifiant dès lors l'existence de la cour d'appel de Versailles". Dans les régions où des redécoupages seront effectués, "certaines cours qui 'perdront' certains départements pourront en 'gagner' d'autres", rassurent les auteurs. Autre piste évoquée : la définition d'une procédure dite de "délestage", qui permettrait des "renvois" d'une cour débordée à une autre moins chargée au sein d'une même région.
Pour la première instance : Les référents du "chantier" proposent "l'instauration, en lieu et place des tribunaux d'instance et tribunaux de grande instance, de "tribunaux de proximité" et de "tribunaux judiciaires". Sur le même principe que pour les cours d'appel, chaque département aurait son tribunal judiciaire principal, sans empêcher que d'autres subsistent. Les tribunaux de proximité traiteraient des "contentieux du quotidien, selon une procédure simple et, en matière civile, sans représentation obligatoire par avocat", comme les délits routiers. Les contentieux spécialisés, plus complexes, reviendraient au tribunal judiciaire.
- Pourquoi la réforme inquiète ?
"En France, les modifications de la carte judiciaire ont toujours suscité des crispations car elles mêlent la peur d'un désert judiciaire à des intérêts de carrières", analyse le professeur de sciences politiques Jacques Commaille, interrogé par Le Monde. La réforme de 2007 "est encore clairement jugée par nombre d'interlocuteurs comme ayant été brutale, arbitraire et conduite sans concertation", abondent Dominique Raimbourg et Philippe Houillon, tous deux avocats et anciens présidents de la commission des lois, "référents" dans l'élaboration des pistes remises à la garde des Sceaux.
Parmi les craintes qui leur ont été remontées, les auteurs évoquent notamment "le syndrome de La Poste", qui veut que la modification de l'implantation des sites judiciaires influe à terme sur l'aménagement du territoire, ou encore la pérennité des facultés de droit, adossées à des cours d'appel et avec lesquelles "elles entretiennent des liens étroits".
En marge de la période de concertation qui s'achève, le gouvernement a rappelé à plusieurs reprise qu'aucune décision n'avait pour l'instant été prise pour aucun lieu de justice. Mais au sein des juridictions dont la localisation est susceptible d'être modifiée, l'inquiétude se fait déjà sentir depuis plusieurs mois, alimentée par les rumeurs. À Rennes, où la cour d'appel pourrait se voir amputée de la Loire-Atlantique, à Grenoble, où la piste d'un rapprochement avec Lyon est évoquée, ou à Poitiers, deuxième cour de Grande Aquitaine après Bordeaux, les professionnels du monde de la justice ont déjà tiré la sonnette d'alarme. Plusieurs mouvements de grève ont été organisés à travers la France.