L'argument de vente est plutôt osé, moralement répréhensible et surtout illégal. Pour vendre son logiciel espion, le site Fireworld n'a pas hésité à produire une communication aux relents homophobes : il invite les parents à se procurer son logiciel pour savoir si "leur fils est gay", en se basant sur des clichés tout à fait hasardeux. En outre, la société informatique propose, via son logiciel Fireworld Controller, de violer la vie privée de sa progéniture de manière parfaitement illégale.
Un logiciel espion
Fireworld Controller est un logiciel espion qui permet de contrôler à distance un ordinateur PC Windows. À cet effet, l'utilisateur peut surveiller l'activité en temps réel de l'ordinateur, enregistrer la frappe au clavier ("keylogger"), activer la webcam et l'enregistrement audio à distance, récupérer les mots de passe, géolocaliser l'ordinateur. Une fois installé sur le PC, le logiciel collecte toutes les données de navigation Internet, les mots de passe enregistrés, etc. Il existe en version gratuite ou payante, allant de 55 à 155 euros.
Du marketing truffé de clichés
Pour vendre son logiciel, le site Fireworld a fait le choix d'une communication homophobe. Comme l'a repéré l'association de soutien aux victimes de l'homophobie L'Amicale des jeunes du Refuge, le site a proposé aux parents d'espionner leur progéniture pour détecter leur homosexualité. Sur la page web "Savoir si mon fils est gay" (qui a depuis été supprimée, mais dont le cache reste visible sur Google), Fireworld l'assure : "vous apprendrez à connaître les signes pouvant indiquer que votre fils est gay, ainsi qu'une méthode infaillible pour découvrir rapidement la vérité" grâce à leur logiciel payant, comme le montrent les captures d'écran révélées par le site Next Inpact et Néon.
Et Fireworld d'oser un listing accumulant les préjugés pour permettre aux parents de repérer l'homosexualité prétendue de leur fils : "il se coiffe pendant des heures", "les sports comme le football ne l'intéressent pas", "les chanteuses divas sont une de ses passions", "vous ne l'avez jamais vu en compagnie d'une fille", etc. Afin de repérer ces indices, Fireworld Controller promet aux parents de savoir si leur enfant consulte des "sites quasiment réservés aux homos", s'il est "entré en contact avec d'autres garçons de la même orientation par le biais de Facebook", s'il a "rejoint des groupes du Style 'Rencontres gay'". Autant d'éléments qui "peuvent faire pencher la balance du côté de l’arc-en-ciel multicolore", ose encore Fireworld, qui conclut : "Espionner un ordinateur est donc votre arme la plus puissante pour obtenir suffisamment de preuves concrètes afin de savoir si (votre) fils est gay ou pas."
Comme le montre le plan du site, Fireworld ne propose pas seulement d'espionner son enfant, mais aussi de "savoir si ma femme me trompe", "espionner ses employés", ou plus simplement "pirater un compte Facebook". Autant de titres qui promettent au site de bien se placer dans les moteurs de recherche. Et c'est d'ailleurs ce qu'ont avancé des responsables de Fireworld à Libération, qui ont expliqué que la page "Savoir si mon fils est gay" avait "pour seul but d'améliorer le référencement Internet sur les moteurs de recherche", avant de présenter leurs excuses.
Le site a donné une toute autre explication à franceinfo, rejetant la responsabilité sur une tierce personne : "cet article a été écrit par un extérieur et ne reflète pas les idées de Fireworld. Nous contacterons l'auteur de l'article dès son retour de vacances, à savoir le 27 août", explique l'entreprise. La secrétaire d'État à l'Égalité femmes-hommes Marlène Schiappa a réagi sur Twitter en dénonçant une affaire qui "démontre qu'homophobie et sexisme prennent racines dans les mêmes stéréotypes du genre".
Ceci démontre qu'homophobie & sexisme prennent racines ds les mêmes stéréotypes de genre
— MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) 22 août 2017
Nous les combattons ensemble @DILCRAH@Egal_FHhttps://t.co/juUhX3Utxu
Violation de la vie privée
En outre d'accumuler les clichés, Fireworld vend des solutions informatiques illégales. "L’utilisation d’un logiciel d’espionnage, sans consentement de la personne espionnée, est illégale et pénalement répréhensible d’après l’article 226-15 du Code pénal. Il s’agit d’une violation de la vie privée", assure l'avocat Maître Vallat à Néon. Via plusieurs dispositions, le Code pénal punit en effet le fait de porter atteinte au secret des communications, de porter atteinte à la vie privée d'autrui, de capter des données personnelles à l'insu de l'utilisateur via ce type de logiciel, de pénétrer frauduleusement un système informatique ou encore de vendre des "keyloggers". Des faits passibles pour certains d'une amende pouvant aller jusqu'à 45.000 euros et de prison ferme.
Et ce n'est pas tant la vente de ce type de logiciel qui est répréhensible que la publicité incitant à l'espionnage qui en est faite. "Si le logiciel est vendu d’une manière neutre, il n’y a pas de problème. Mais ici il est vendu et présenté comme un logiciel permettant l’espionnage. On en donne un mode d’emploi", continue l’avocat. D'ailleurs, Fireworld prévient ses utilisateurs et se défend de toute responsabilité : "Pirater un compte est illégal. Si vous transgressez la loi, vous êtes seul responsable de vos actes", écrit-il sur son site.
L'utilisation de logiciel espion est toutefois légale dans certains cas, comme l'indique Fireworld, lorsqu'il s'agit de contrôler ses propres ordinateurs ou encore de vérifier que ses enfants ne s'exposent pas à des sites qui leur sont interdits. "D'habitude, deux types de cibles sont mis en avant (par les vendeurs de logiciel espion, ndlr) : les mineurs et les majeurs 'incapables', comme la grand-mère atteinte d’Alzheimer", précise à Libération Nicolas Arpagnian, de l'Institut national des hautes études en sécurité et de la justice. Et de prime abord, la ou les utilisateurs d'ordinateurs surveillés doivent en être informés et avoir la possibilité de désactiver le logiciel.
Qui se cache derrière Fireworld Controller ?
Savoir qui se trouve derrière Fireworld Controller s'annonce difficile, explique Next Inpact. Le logiciel aurait vu le jour en 2014. Aucune des trois versions du site, en anglais, français et espagnol, n'affiche de mentions légales valables, qui sont pourtant obligatoires. L'achat du nom de domaine Fireworld.fr a été anonymisé, ce qui induit qu'il a été effectué par un particulier. Le site français est quant à lui hébergé en Suisse. Autant de pistes fumeuses qui rendent le secteur des logiciels espions propices aux escroqueries.