"La première fois que l'on est confronté aux théories du complot, c'est désarçonnant. Je ne suis tellement pas là-dedans d'habitude. Il faut essayer d'y répondre mais on ne s'y attend tellement pas", raconte Gabriel, un jeune professeur d'histoire-géo. Alors que le gouvernement lance mardi une campagne de communication sur le sujet, Europe 1 a décidé d'interroger ce jeune enseignant, qui tente, parfois avec difficulté, de répondre aux "doutes" de ses élèves.
De Charlie Hebdo aux Illuminati. Gabriel enseigne l'histoire-géo dans un lycée professionnel de Picardie depuis cinq ans. Il est également en charge des cours d'EMC, pour "Enseignement moral et civique". Et c'est notamment au moment des attentats de janvier que le sujet s'est imposé à lui. "Auparavant, certains élèves pouvaient me parler des Illuminati (une secte secrète accusée par les complotistes de diriger le monde). Mais je me contentais de leur dire de lire Da Vinci Code ! Avec les attentats de janvier, ce n'est pas pareil. Ils ont plus d'arguments", explique-t-il.
Et pour cause : depuis les attentats, les théories les plus fumeuses se sont multipliées, notamment sur Internet, où les "arguments" des complotistes foisonnent. "Les élèves ont accès à l'information en permanence et sans contrôle. Certains se demandent pourquoi la carte d'identité de l'un des frères Kouachi a été oubliée dans la voiture, d'autres disent qu'il y avait deux voitures… Puis après, ça part dans tout un tas de choses. Les plus convaincus se remettent à parler des Illuminati…".
"Certains ont l'air de vraiment y croire". Selon cet enseignant, il ne s'agit pas forcément d'élèves "radicaux", ni même "jusqu'au-boutistes". "Ils ont seulement besoin de s'exprimer". Mais leurs croyances n'en sont pas moins tenaces. Gabriel évoque notamment une classe de première d'une trentaine d'élèves, en bac-pro-vente, "très intéressée par l'information". Quatre ou cinq se montraient particulièrement sceptiques au sujet de la "théorie officielle" sur les attentats. "Certains ont vraiment l'air de croire que c'est une mise en scène", estime le professeur.
"Je suis parfois à court d'argument". Pour répondre à leurs arguments, Gabriel doit batailler. "Je leur dis de se méfier de ce qu'ils voient, de vérifier les sources de leurs informations. Je les renvoie vers d'autres sources, comme ce reportage récent sur Envoyé spécial, qui n'était pas mal fait. J'arrive à en convaincre certains. Mais d'autres sont attachés à leurs croyances". Et la défiance générale envers les médias "traditionnels", vers qui les anti-complotistes renvoient, n'arrange pas les choses.
"Je suis parfois à court d'arguments". On essaie le plus possible. Au bout d'un moment, le meilleur argument est peut-être de souligner l'absurdité des leurs. Sur le 11 septembre, par exemple, je leurs demande comment il aurait pu être possible d'organiser un truc pareil sans que cela ne se voit (certains complotistes pensent que ce n'est pas un attentat, mais une opération longuement mûrie, de la part des Etats-Unis eux-mêmes. L'une des "preuves avancées" : les tours ne se seraient pas effondrées par le haut mais par le bas, signe que des explosifs ont été placés à la base des tours). Certains me disent, 'ah oui, c'est vrai'. Mais d'autres ont leurs propres arguments. Et il est difficile de leur faire reconnaître qu'ils sont absurdes", reconnaît Gabriel.
Les formations ? "Je les attends toujours". L'enseignant regrette aussi le peu de formations mis en place sur ce type de sujets. "D'une manière générale, le temps de formation d'un enseignant est tellement réduit qu'il est difficile d'apprendre quoi que ce soit. En outre, les professeurs devaient avoir des formations spécifiques pour les cours d'Enseignement moral et civique, qui ont commencé en septembre. Personnellement, je les attends toujours".