Des milliers de parents en donnent à leurs enfants tous les jours. L’Uvestérol D est aujourd’hui accusé d’être responsable de la mort d’un nourrisson de 10 jours. Selon des informations du Figaro confirmées lundi soir par l'agence du médicament (ANSM), un bébé est décédé le 21 décembre après avoir injecté ce médicament utilisé contre les carences en vitamine D. Le médicament, largement prescris par les pédiatres en France, est pourtant au cœur d’une polémique qui dure depuis 2010, en raison de son mode d’administration (avec une pipette). Pourquoi est-il encore utilisé en France ? N’y a-t-il pas d’autres alternatives ? Décryptage.
- Faut-il continuer à donner de la vitamine D par médicament aux bébés ?
La vitamine D est notamment générée par une exposition au soleil et à la lumière naturelle. Or, un nourrisson, surtout les premiers mois et dans certaines régions de France, n’y est que très peu exposé. En outre, si les méthodes naturelles restent le meilleur moyen de faire le plein de vitamine D, elles ne permettent pas d’offrir un élément indispensable pour un nourrisson : le dosage. Impossible, en effet, de suivre avec précision la dose de vitamine D dont bénéficie un nouveau-né que l’on va installer près de la fenêtre. Quant aux aliments pour bébé, même ceux enrichis en vitamine D, ils sont (pour l’heure) loin de contenir la dose jugée adéquate.
La quasi-totalité des pédiatres français recommandent donc une cure de vitamine D via des médicaments à usage quotidien. La plupart du temps, c’est le pédiatre de la maternité qui prescrit le traitement, ainsi que la marque du produit. La cure est ensuite souvent prolongée par le pédiatre de la famille, et elle peut se poursuivre jusqu’aux 18 mois du nourrisson. "Nous continuons à recommander un tel traitement aujourd’hui pour les bébés, et nous continuerons probablement encore longtemps. Une carence en vitamine D peut provoquer un problème dans le développement des os ou du cartilage", souligne Jean-Louis Chabernaud, président du Syndicat national des pédiatres en établissement hospitalier, interrogé par Europe 1.
- Pourquoi donne-t-on encore de l’Uvestérol ?
Aujourd’hui en France, deux produits se partagent la quasi-totalité du marché du médicament à usage quotidien pour les nourrissons contre les carences (hors carence sévère) en vitamine D : l’Uvestérol et le ZYMAD. Les deux sont remboursés à 65% et chacun est vendu à plusieurs millions d’exemplaires chaque année. Or, le premier est au centre de plusieurs critiques depuis plusieurs années. Ce n'est pas la molécule en elle-même qui est en cause mais son mode d'administration. Le médicament est en effet accompagné d’une pipette, qui sert à injecter la vitamine D au nourrisson. Or, une injection trop violente avec une pipette mal insérée dans la gorge risque de provoquer un malaise vagal du bébé ou une fausse route alimentaire (le produit passe dans la trachée vers les voies respiratoires, au lieu d’aller dans l’œsophage).
En novembre 2010 déjà, la Commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) avait demandé la contre-indication de l’Uvestérol au cours du premier mois de vie de l’enfant, après plusieurs malaises de bébé constatés. Sans succès. Car pour les autorités, l’Uvestérol ne présente pas de danger majeur, à condition qu’il soit administré correctement. "Il ne doit pas être donné sur un enfant allongé, mais sur un enfant en position demi-assise, comme au moment où l'on donne un biberon. On ne doit pas le mettre au milieu de la bouche mais le long de la joue pour qu'il puisse être administré progressivement", précise à Europe 1 le docteur Robert Cohen.
" Les marques font leur communication et celle qui fait la meilleure publicité sera la plus prescrite "
Pressés par les autorités sanitaires françaises, les laboratoires Crinex, qui commercialisent le produit, avaient d’ailleurs mis à jour leurs notices en 2014, pour mieux aiguiller les parents. Et la fiche technique de l’Uvestérol D, à destination des médecins, détaille très précisément le mode d’administration adéquat. "Le problème, c’est que les parents manquent de formation. Les séjours en maternité sont de plus en plus courts et l’information n’est pas toujours transmise à ce moment-là. Quant aux pharmaciens, ils n’ont pas forcément, eux non plus, le temps ou la formation requise pour expliquer comment administrer chaque médicament", explique le pédiatre Jean-Louis Chabernaud.
- Pourquoi n’a-t-on pas privilégié d’autres médicaments ?
Pourquoi les pédiatres n’ont-ils donc pas privilégié le ZYMAD, le Sterogyl ou même l’Adrigyl, un autre médicament des laboratoires Crinex ? Tout comme l’Uvestérol, les trois sont remboursés à 65%. Il en existe encore un cinquième, le Fluostérol, remboursé à 35% (de 2,36 euros), qui soigne les carences en vitamine D et en fluor. ZYMAD, Sterogyl, Adrigyl et Fluostérol s’administrent avec des gouttes et ne contiennent donc aucun risque de créer des malaises vagaux ou des fausses routes.
Mais faute de contre-indications précises de la part des autorités sanitaires, il est difficile pour un pédiatre (et encore plus pour un parent) de juger un médicament plus ou moins sûr que l’un de ses concurrents. "C’est une histoire de markéting. Les marques font leur communication et celle qui fait la meilleure publicité sera la plus prescrite", décrypte Jean-Louis Chabernaud. "Aujourd’hui, c’est à la mode d’utiliser une pipette. Cela donne une indication précise du dosage et cela explique pourquoi l’Uvestérol a encore autant de succès", poursuit le pédiatre.
Lorsque l’on observe la fiche technique du ZYMAD, par exemple, rien n’indique qu’il soit davantage plus sûr que son concurrent. Risque de (légers) problèmes cutanés, de céphalées ou d’hyperpression artérielle en cas de surdosage… Comme absolument tous les médicaments, le ZYMAD contient en effet des effets indésirables potentiels. Sans notice claire de la part du laboratoire et sans consignes précises des autorités sanitaires, rien n’incitait les pédiatres à le privilégier.
- Que va-t-il se passer maintenant ?
Le drame du 22 décembre pourrait-il changer la donne ? "Oui, potentiellement. Les autorités sanitaires françaises pourraient décider de recommander davantage le ZYMAD ou un autre. Il faut réfléchir à cela. Une réunion de l’ANSM (l’agence française de sécurité du médicament) est prévue dans les prochains jours. On pourrait également réfléchir à changer la forme de l’Uvestérol, en mettant une tétine ou un biberon plutôt qu’une pipette par exemple", avance Jean-Louis Chabernaud. Qui conclut : "l’ANSM semble avoir pris le problème à bras le corps. On peut seulement regretter que cela soit un peu tard".